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SOIF

Un livre d’Amélie Nothomb.

 

Depuis longtemps, c’est ce qu’elle affirme, Amélie Nothomb avait le projet d’écrire un livre sur Jésus et, plus précisément, sur sa Passion. Un projet reporté d’année en année parce qu’elle ne s’estimait pas capable de le réaliser. Jusqu’à ce qu’enfin elle se décide et écrive l’ouvrage qui paraît aujourd’hui sous le titre Soif.

Le livre est audacieux puisque l’écrivaine ne se contente pas de raconter Jésus comme l’ont fait tant d’autres avant elle, non, elle fait parler Jésus, elle écrit à la première personne du singulier, ce sont les ruminations et les états d’âme de celui-ci qu’Amélie Nothomb imagine et transcrit. Quelles peuvent bien être les pensées de Jésus à l’heure de la Passion, à celle de la croix et même dans la mort ?

Dans une interview, Amélie Nothomb explique qu’elle ne s’est nullement souciée, ce faisant, ni de la critique historique ni des commentaires des exégètes. Son propos est différent, il est celui d’une romancière qui se souvient de ce qu’elle ressentait lorsqu’elle était enfant et qu’on lui racontait la Passion et la mort de Jésus. Le livre tel qu’il est proposé aujourd’hui aux lecteurs semble, en effet, pour une part, comme surgi de la voix de l’enfance, mais pour une part seulement. Car un grand nombre des propos qu’Amélie Nothomb prête à Jésus s’appuient, sans aucun doute, sur des réflexions d’adulte.

Nous avons donc affaire au Jésus d’Amélie Nothomb, qui n’est pas celui des « cathos », comme elle l’affirme dans une interview. En vérité, c’est avec les récits évangéliques eux-mêmes que l’écrivaine prend ses distances, plutôt qu’avec les seuls « cathos ». Elle se fait un malin plaisir, semble-t-il, à prendre le contre-pied, presque systématiquement, des textes des quatre évangiles. Et quand elle retient certains des écrits ou certaines des paroles rédigés par les évangélistes, c’est pour leur donner une interprétation toute personnelle.

En fin de compte, il y a de tout dans ce livre : des invraisemblances, des banalités, mais aussi de belles méditations et quelques fulgurances. Au registre des invraisemblances, il faut placer tout le début du livre ou presque. Amélie Nothomb veut nous faire avaler que tous ceux qui ont été les bénéficiaires des miracles de Jésus sont, au bout du compte, si mécontents qu’ils viennent témoigner contre lui à son procès ! Voilà qui ne manque pas d’originalité, mais que l’écrivaine n’explique que laborieusement et sans jamais réussir à convaincre, au moyen de subtilités peu crédibles. Au rayon des banalités, on n’échappe pas, bien évidemment, au grand amour entre Jésus et Marie-Madeleine, que le premier préfère appeler simplement Madeleine (à cause du prénom Marie qui est également celui de sa mère). Là, Amélie Nothomb ne fait que reprendre à son compte (ou à celui de son Jésus) ce que d’autres avaient déjà imaginé, par exemple Nikos Kazantzakis dans La Dernière Tentation du Christ.

Amélie Nothomb prête à Jésus des pensées très humaines, très incarnées, ce qui, en soi, n’a rien de choquant, mais était-il, pour autant, judicieux de prétendre, par exemple, qu’à Cana, Marie et Jésus avaient si bien profité du bon vin qu’ils en étaient, au bout du compte, pompettes ! C’est le genre de petites audaces que se permet l’écrivaine et qui n’indigneront que les béni-oui-oui.

Heureusement, dans sa deuxième moitié, l’ouvrage acquiert une intensité et une profondeur qui impressionnent. Certes, les pensées prêtées à Jésus ne perdent rien de leur originalité, mais de façon bien plus intéressante, plus forte, qu’au début du livre. Il y a même des pages de méditation très belles sur le chemin de croix, sur l’amitié de Simon de Cyrène et sur l’amour de Véronique : « deux courages d’une sublimité sans exemple ». En fin de compte, si l’on y réfléchit, on peut estimer que les questions que se pose l’écrivaine au fil de ses pages sont non seulement légitimes mais bienvenues. Ce sont, pour reprendre ce que je disais plus haut, des questions d’enfant. Or ces questions-là sont les plus judicieuses qui soient, je n’en ai pas le moindre doute.

Ce qui fait difficulté, ce ne sont donc pas les questions, mais ce sont les réponses, d’autant plus qu’en l’occurrence elles sont proposées sous la forme des ruminations et des pensées de Jésus lui-même. Et, comme je l’ai dit, elles se démarquent presque toujours des évangiles et de leurs interprétations courantes. Qu’Amélie Nothomb prenne très au sérieux l’incarnation, son implication, ses conséquences, en essayant de percevoir ce que cela veut dire concrètement, c’est pertinent. Mais qu’elle fasse dire (ou penser) à Jésus que, par exemple, il n’a jamais eu un très bon sommeil, c’est se risquer dans des particularisations qui laissent sceptique. Qu’Amélie Nothomb se heurte à l’énigme de la croix (« scandale pour les Juifs et folie pour les païens », comme écrit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens), qu’elle soit effarée par la notion de sacrifice, par la souffrance, par le martyre, au point de les refuser, cela se conçoit et elle est loin d’être la première à emprunter ce chemin-là. Mais faire passer Jésus par tous les stades allant de l’incompréhension (le projet du Père voulant voir jusqu’où peut aller Jésus par amour, c’est une « idée nuisible jusqu’à l’épouvante », fait dire Amélie Nothomb à son Jésus) jusqu’à l’orgueil (car aucune autre crucifixion n’aura autant de retentissement que la sienne), en passant par la révolte, la désobéissance (non, le Jésus de Nothomb n’est pas obéissant au Père !) et la haine de soi, il faut l’oser ! Car ce n’est pas aux autres que ce Jésus-là doit pardonner, mais à lui-même, ne serait-ce que parce que, par exemple, il va en entraîner plein d’autres sur la voie du martyre, ce qui paraît injustifiable à l’écrivaine (qui a d’ailleurs raison de buter au sujet d’une quelconque tentative de justification du mal et de la souffrance) !

Il ne s’agit donc pas d’évacuer ni de mépriser les questions posées par le livre d’Amélie Nothomb ! Je le répète, elles sont bienvenues et nombreux sont, probablement, ceux qui s’y heurtent, pour peu qu’ils y réfléchissent tant soit peu. Mais, pour ce qui concerne les affirmations égrenées dans le livre, c’est autre chose et l’on est totalement en droit de ne les point partager. Il y a trop de systématisme chez Amélie Nothomb, une propension à prendre le contre-pied des évangélistes qui ne peut que susciter le scepticisme.

Jésus qui s’oppose au Père au point de lui interdire la capacité d’aimer (car, selon Amélie Nothomb, seul un être doté d’un corps peut aimer), cela laisse rêveur. Mais Jésus qui se corrige lui-même (ou plutôt qui corrige ce que lui fait dire Jean dans son évangile) au point de faire l’éloge de la soif, c’est peut-être ce que le livre propose de plus séduisant. Car la seule parole que veut bien accorder à Jésus sur la croix Amélie Nothomb, c’est « J’ai soif ». Tout le reste, selon elle, n’est qu’invention de mauvais goût ! Mais avoir soif, c’est la seule chose qui compte. Et, surtout, dit-elle, ou dit son Jésus, il faut ne jamais l’étancher totalement, car « l’amour de Dieu, c’est l’eau qui n’étanche jamais » !  

7/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres
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