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1917

Un film de Sam Mendes.

 

Je suis pris de circonspection chaque fois que paraît sur les écrans un film ayant l’ambition de nous placer, nous spectateurs d’aujourd’hui, en immersion dans une réalité du passé, qui nous est totalement étrangère. Les cinéastes qui ont cette prétention, à mon avis, risquent fort de se fourvoyer tout en omettant un des éléments essentiels du cinéma de qualité qui est de laisser les spectateurs combler les vides, si l’on peut dire. Allan Dwan (1885-1981), un des cinéastes de l’âge d’or d’Hollywood, le disait à sa façon dans une interview : « on ne doit pas insulter les spectateurs en leur donnant trop. »

En proposant un film en temps réel et, qui plus est, conçu comme s’il s’agissait, d’un bout à l’autre, d’un seul plan-séquence, Sam Mendes prend le risque du trop-plein, comme s’il voulait faire entrer les spectateurs dans une sorte de grand jeu vidéo. Heureusement, même si le film n’échappe pas totalement aux imperfections que je viens d’indiquer, le réalisateur a quand même pris soin de faire du cinéma, autrement dit de ne pas enfermer le spectateur dans un excès de réalisme qui serait, quoi qu’il fasse, plus ou moins fallacieux.

Ce qui sauve le film d’une dérive presque ludique, ce sont les deux personnages principaux , les deux jeunes soldats britanniques Schofield (George Mac Kay) et Blake (Dean Charles Chapman) désignés pour une mission presque suicidaire consistant à porter et délivrer un message censé éviter une attaque qui serait dévastatrice. Avec eux, il n’est plus guère possible de considérer que la guerre est une sorte de jeu. On la ressent et on la perçoit telle qu’elle est, terrifiante, sale, dangereuse et absurde, puisque l’on comprend que le message que les deux soldats doivent transmettre ne changera, en fin de compte, pas grand-chose. Les soldats qui devaient aller au massacre ce jour-là bénéficieront peut-être d’un répit de quelques jours, rien de plus. Ils finiront tout de même par aller au casse-pipe.

Pour faire ce film, Sam Mendes s’est inspiré des récits de son propre grand-père, ce qui fait que l’on perçoit, tout au long du film, la véracité des scènes, même si l’accumulation des périls sur une durée aussi courte peut paraître insolite. Le film plonge le spectateur dans une suite ininterrompue d’épreuves sur un terrain presque abandonné par les forces ennemies mais, néanmoins, truffé de dangers multiples. On ne voit guère de combattants allemands, sauf lors de séquences presque hallucinantes.

Sur le plan technique, sur celui de la virtuosité, le film est époustouflant, cela va sans dire. Non seulement on a vraiment l’impression de ne voir qu’un seul plan-séquence, mais on ne peut qu’être estomaqué par les étonnants mouvements de caméra que s’autorise le réalisateur dans un tel contexte. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec les critiques qui prétendent que le film sacrifice ses personnages au nom de la pure habileté technique. Schofield et Blake prennent consistance, si l’on peut dire, au cours du film. Même si l’on a affaire à beaucoup de scènes d’action, on perçoit quelque chose de ces deux personnages. Ce ne sont pas seulement des figurines de jeu vidéo. On ressent avec eux l’angoisse, la peur, mais aussi la détermination et la générosité. Une scène, la plus belle du film (car, même dans ce contexte, il peut y avoir de la beauté), fait se rencontrer Schofield, une jeune femme réfugiée dans des ruines et un tout jeune enfant. C’est l’occasion, pour le soldat, de se montrer tel qu’il est, un homme pétri à la fois de hardiesse et de bonté. Juste auparavant, l’on découvrait le village en ruine qu’entreprend de traverser le soldat, dans une scène nocturne où ce qu’il reste des maisons n’est éclairé que par des incendies. Le film semble échapper alors à tout réalisme, donnant à voir un tableau tout droit issu d’un cauchemar. C’est grâce à des scènes de cette sorte que le film se démarque de l’ambition que je déplorais au commencement, celle de l’immersion. Le réalisateur n’a pas oublié de faire du cinéma, ouf ! 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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