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MADRE

Un film de Rodrigo Sorogoyen.

 

 

Alors que Rodrigo Sorogoyen s’était fait remarquer, jusqu’à présent, grâce à deux films policiers aux allures de chroniques sociales et de thrillers politiques, c’est avec une œuvre plus intimiste qu’il nous revient aujourd’hui, une œuvre dont le sujet même ne peut laisser insensible, puisqu’il est question du deuil impossible d’une mère ayant perdu son enfant. Cette perte, c’est précisément ce que met en scène le réalisateur au début du film au moyen d’un seul plan d’une durée de quinze minutes, d’autant plus impressionnant que nous ne voyons rien du drame qui se produit, mais que, comme Elena (Marta Nieto), nous devons nous contenter d’entendre la voix de son petit garçon de six ans au téléphone. Parti avec son père, l’enfant s’est retrouvé seul et en détresse sur une plage des Landes. Il a réussi à appeler sa mère qui, paniquée, éloignée de la tragédie qui se déroule, ne peut pas faire grand-chose.

Dix ans plus tard, nous retrouvons Elena et nous comprenons rapidement que c’est précisément sur une plage des Landes, là même où son fils a disparu, qu’elle a décidé de refaire sa vie, là où elle aurait voulu être le jour où a eu lieu le drame. Impossible pour elle, désormais, de vivre ailleurs. Elle a trouvé un emploi dans un bar et, le reste du temps, quand elle ne travaille pas, elle arpente la plage comme si elle recherchait encore et toujours d’improbables traces de son enfant.

Or, un jour, son itinéraire croise celui d’un groupe d’adolescents, parmi lesquels se trouve Jean (Jules Porier), un garçon de seize ans qui lui rappelle son fils disparu. Elle le retrouve plus tard et, bientôt, une amitié se noue, une complicité, un lien qui donne du goût à la vie, non seulement pour Elena mais aussi pour Jean. Comment définir cette relation, quels mots utiliser pour en parler ? Elle est de plus en plus forte au fil du temps, mais elle n’a rien à voir avec un amour interdit, rien de semblable à ce que racontait superbement Robert Mulligan (1925-2008), grand cinéaste sous-estimé, dans Un été 42 (1971). Non, ici, il s’agit d’autre chose, ce qu’ont bien du mal à comprendre les parents de Jean ainsi que l’homme avec qui Elena a entrepris d’essayer de refaire sa vie. Une femme qui était figée dans une douleur qu’elle ne pouvait partager à personne se ranime, en quelque sorte, reprend souffle tandis que l’adolescent, de son côté, se trouve irrésistiblement touché au profond de son être. Tous deux sont attirés l’un vers l’autre, tous deux ont beaucoup à donner et beaucoup à recevoir, au risque de provoquer l’incompréhension des témoins, si ce n’est de les scandaliser. Ce qui se noue entre Elena et Jean ne manque pourtant pas de beauté, dans la mesure où on ne se focalise pas sur les apparences. La caméra de Sorogoyen, souvent très mobile, accompagne à merveille toutes les nuances de ce retour à la vie. Pas d’effets inutiles cependant, pas de maestria gratuite, mais une multitude de plans très maîtrisés qui font mouche. Y compris quand la caméra, tout à coup, devient immobile : ainsi lors de la scène sidérante où Elena reçoit la visite du père de l’enfant disparu. Cet homme-là ne peut rien pour elle.

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films
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