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FRANCE

Un film de Bruno Dumont.

 

Avec Bruno Dumont, pas question de répéter, de film en film, une recette ni même un savoir-faire. Ce cinéaste inclassable se plaît à explorer un genre après l’autre, et toujours de façon très originale. Pour ce qui me concerne, c’est vrai, il m’est arrivé de rester sur ma faim, voire même d’être rebuté, en particulier lorsque ce réalisateur s’est aventuré sur le terrain de la farce « hénaurme » (pour reprendre l’orthographe de Flaubert) : ainsi Ma Loute en 2016, film qui m’avait agacé de bout en bout. Par contre, les deux films que Dumont a consacré à Jeanne d’Arc en reprenant des textes de Péguy sous forme d’œuvres musicales m’ont enchanté (c’est le cas de le dire).

Aujourd’hui, à nouveau, Bruno Dumont surprend en proposant une satire pas piquée des vers du monde médiatique ainsi que des réseaux sociaux. Et il s’y prend, à mon avis, avec sagacité. Certes, des spectateurs estimeront sans doute que la représentation des professionnels des médias, en particulier des journalistes, est ici exagérée, sinon caricaturale. Mais pour moi, comme je l’écrivais déjà, récemment, à propos de Benedetta, en citant Léon Bloy, l’exagération n’est pas un défaut, dans la mesure où elle est un moyen efficace de susciter l’étonnement et l’interrogation.

Et puis, pour atteindre son but, Bruno Dumont se passe de grands discours, il ne fait pas de démonstration, il préfère mettre en scène un personnage tiré de son imagination, un personnage d’ailleurs pétri de contradictions et auquel on peut assez facilement s’identifier, même si l’on n’a pas de rapport direct avec le journalisme. C’est donc une vedette du petit écran, prénommée judicieusement France et admirablement interprétée par Léa Seydoux, que Bruno Dumont fait évoluer dans le cadre de son travail, mais aussi dans celui de sa vie de famille (elle est mariée et mère d’un petit garçon).

Or, ce que le cinéaste montre par l’exemple, c’est que tout est représentation, mise en scène, spectacle. Lorsque nous regardons les reportages du journal télévisé, sommes-nous convaincus de voir le réel ? Il n’en est rien ou, en tout cas, nous ne voyons jamais qu’une partie du réel. Le reportage télévisé, c’est aussi du cinéma et, d’une certaine façon, cela devient de la fiction. France de Meurs, la journaliste que met en scène Bruno Dumont, ne se fait aucun scrupule, quand elle est sur le terrain, pour arranger les images, fabriquer du faux, tout en ne ratant pas une occasion de se mettre elle-même en spectacle : et cela, sur des zones de guerre ou, même, sur une embarcation qui traverse la Méditerranée avec des migrants à son bord. Il s’agit d’émouvoir les spectateurs, de leur montrer du sensationnel et qu’importe si les images sont trafiquées. C’est le système tel qu’il s’est mis en place dans les médias qui l’exige : il faut que les images impressionnent le public, peu importe les moyens utilisés pour les fabriquer.

Quant aux journalistes eux-mêmes, et c’est le cas de France de Meurs dans le film, on les acclame volontiers comme des stars, on les recherche, on les adule. Mais gare au moindre faux pas car il n’y a pas besoin de grand-chose pour tomber de son piédestal. Or précisément, c’est ce qui se produit pour France et cela, à partir du moment où, alors qu’elle est au volant de sa voiture et qu’elle est distraite par son fils, elle provoque la chute accidentelle d’un homme à scooter. Celui-ci, issu d’un milieu très pauvre, en est quitte pour un passage en hôpital mais, pour France, cet événement est déclencheur, il sert, en quelque sorte, de révélateur. Derrière la star du petit écran, qu’y a-t-il sinon une femme avec ses fragilités, ses mélancolies, ses peurs, ses doutes, tout simplement son humanité ? C’est cet élément qui fait que le film de Bruno Dumont parvient à nous toucher. Quand France se met à pleurer, verse-t-elle des larmes de crocodile ou est-elle réellement affligée ? Quoi qu’il en soit, le projet de Bruno Dumont ne se résume pas à dézinguer les professionnels des médias, mais aussi à faire apparaître ce qui se dissimule sous les apparences. Pour y parvenir, à plusieurs reprises, la caméra se concentre sur le visage de France, en particulier sur son regard. Dans ces moments-là, c’est comme si le temps se suspendait, il n’y a pas de dialogue, uniquement la fragilité de l’humain qui ne se cache plus derrière les faux-semblants.

On le voit, avec Bruno Dumont, on n’a affaire ni à un cynique ni à un pessimiste à tous crins. Tout être peut s’élever, pense-t-il, ce dont il s’explique dans une interview à Télérama : « Chacun doit pouvoir s’élever. C’est ce que dit Péguy : l’élévation est partout. Elle n’est pas chrétienne. La religion, il faut la jeter aux orties. Il faut remettre par contre du religieux et du spirituel dans l’art, qui révèle et transfigure. »

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

 

Tag(s) : #Films, #Comédie dramatique
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