Un film de Emmanuelle Nicot.
À la Semaine de la Critique à Cannes en mai 2022, ce premier long-métrage belge de Emmanuelle Nicot a décroché le prix de la presse internationale. La réalisatrice y traite d’un sujet on ne peut plus épineux, celui de l’inceste, en l’occurrence d’un père vis-à-vis de sa fille de douze ans. Or, ce sujet, la cinéaste l’aborde avec une remarquable subtilité en faisant le choix de toujours rester au plus près de son interprète principale, la toute jeune actrice Zelda Samson, tellement habitée par son personnage, tellement impressionnante du début à la fin du film qu’on en reste pantois. En voyant le film, dès les premières scènes, on songe à la manière de faire des frères Dardenne, tout comme en voyant le jeu de Zelda Samson on pense à celui d’Émilie Dequenne dans Rosetta (1999), son premier rôle que lui confièrent précisément… les Dardenne.
Cela étant, Emmanuelle Nicot ne se contente évidemment de simplement copier ses deux homologues belges. Dès les deux premières scènes du film, elle nous happe littéralement pour ne plus nous lâcher. Dalva y apparaît d’emblée au moment où interviennent les forces de police venues arrêter son père et l’emmener pour être confiée à un foyer pour enfants en difficulté. Or, la jeune fille, habillée d’une robe de soirée et de bas nylon et portant des colliers autour du cou comme une femme, hurle le prénom de son père, non pas pour le rejeter, au contraire : « Jacques ! Jacques ! Laissez-le ! » Comme si elle ne voulait surtout pas être séparée de lui.
Emmenée et placée au foyer de Givet, Dalva va devoir, en quelque sorte, se laisser apprivoiser par Jayden (Alexis Manenti), l’éducateur qui est son référent, mais aussi apprendre à vivre en communauté, en particulier avec Samia (Fanta Guirassy), une ado avec qui elle doit partager une même chambre, placée, elle, on l’apprend rapidement, pour la séparer d’une mère qui se prostitue. Les deux adolescentes, sans beaucoup tarder, se rapprochent l’une de l’autre, deviennent presque inséparables.
Emmanuelle Nicot parvient surtout à traiter du sujet de l’inceste en trouvant un parfait équilibre entre le drame subie par l’adolescente et sa recherche, plus ou moins consciente, d’une voie de guérison. De la révolte et du déni dans lesquels elle s’enferme obstinément dans un premier temps jusqu’à une forme d’apaisement, il lui faut passer par bien des étapes, que détaille avec beaucoup de justesse la réalisatrice. Cela passe, entre autres, par des retrouvailles et des confrontations : retrouvailles avec sa mère que Dalva, dans un premier temps, rejette ; confrontations, à l’intérieur de la prison où il est incarcéré, avec le père.
La réalisatrice filme un parcours de reconstruction d’une toute jeune adolescente qui, du fait de ce qu’elle a vécu, semble d’abord vouloir se réfugier dans une sorte de confusion mentale qui l’empêche de faire la part des choses, de voir clair tant sur ce qu’elle a subi que sur la conduite de son père. Pour sortir de ce cafouillis, retrouver un peu plus d’équilibre, il faut du temps, de la patience, tout un cheminement intérieur que laisse fort bien percevoir le film. En fin de compte, alors qu’arrive le procès qui doit juger le père, quelque chose change chez Dalva, son visage semble s’illuminer, son apparence se transforme, elle s’est coupée les cheveux, elle ne cherche plus à ressembler à une femme, elle accepte d’être ce qu’elle est : une enfant de douze ans !
8/10
Luc Schweitzer