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MOI, CAPITAINE

Un film de Matteo Garrone.

 

 

Récompensé d’un Lion d’Argent du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, Matteo Garrone, cinéaste italien à qui l’on doit des films réalistes comme Gomorra (2008), plongée dans la mafia napolitaine, mais aussi des contes comme Tales of tales (2015) ou Pinocchio (2019), met en scène, étape par étape, dans ce nouveau film, la périlleuse et éprouvante odyssée de deux jeunes adolescents Sénégalais partis de Dakar pour rejoindre leur « terre promise », l’Italie. L’Italie, justement, qui, rappelons-le est gouvernée, depuis plus d’un an, par l’extrême-droite de Giorgia Meloni. Autant dire que ce film vient à point nommé, ce que n’a pas manqué de remarquer la presse transalpine, saluant, en règle générale, une œuvre qui certes interroge mais qui ne tombe pas dans le piège du film à thèse.

Seydou et son cousin Moussa ont seize ans à peine quand ils décident de quitter leur pays pour rejoindre l’Europe où, espèrent-ils, ils gagneront assez d’argent pour aider leur famille restée au pays. L’argent, tel est le fil rouge de tout le film de Matteo Garrone : celui que les deux garçons ont gagné et mis de côté pour pouvoir payer les passeurs en croyant qu’ils en auront suffisamment, cet argent qu’il faudra essayer de cacher, cet argent qu’il faudra gagner en surplus, mais cet argent qui manquera quand on en aura le plus besoin, cet argent convoité, rançonné par tous ceux (et ils sont nombreux) qui profitent outrageusement du flux migratoire.

Le Sénégal, le Mali, le Niger, la Lybie, puis la Méditerranée qu’il faut traverser : la route est longue et terriblement difficile. Elle le serait même s’il n’y avait pas de bandes armées prêtes à commettre toutes les horreurs pour tirer profit des migrants, puisqu’il faut traverser un désert où plus d’un, épuisé, a perdu la vie. Seydou et Moussa, confrontés à des épreuves et à des violences qu’ils n’imaginaient pas, auront toutes les raisons de regretter leur départ de Dakar. Qui plus est, Seydou s’en veut d’être parti sans l’accord de sa mère.

« La réalité migratoire est bien pire que le film », affirme Matteo Garrone. Pourtant, certaines des scènes du film sont si éprouvantes qu’on peine à les regarder, ce qui pose, une fois de plus, la question de la représentation de la violence à l’écran. Heureusement, pour contrecarrer la cruauté de ces scènes, le réalisateur s’autorise des échappées oniriques, tout à fait inattendues dans un film de ce genre et, cependant, bienvenues. Mais surtout, et c’est la raison pour laquelle ce film, malgré sa dureté, est extrêmement touchant, l’aventure des deux garçons est émaillée d’actes de solidarité. C’est Seydou, particulièrement, qui se distingue sur ce plan-là, comme quand, dans le désert, il rebrousse chemin pour essayer de secourir une femme si fatiguée qu’elle ne peut plus marcher ou encore lorsque, à la fin du film, il se dévoue sans compter pour le salut de Moussa, blessé à la jambe par une balle. C’est aussi Seydou qui bénéficie d’un bel élan de solidarité lorsqu’il trouve, parmi ses compagnons de peine, un homme qui a l’âge d’être son père et qui vient à son secours. C’est Seydou, enfin, qui, alors qu’il ne sait pas même nager, est requis, à Tripoli, pour conduire le bateau qui doit traverser la méditerranée dans des conditions épouvantables. « Moi, capitaine » : le jeune garçon est en droit de le dire, sans nul doute. Quant à Matteo Garrone, même si l’on peut lui reprocher quelques maladresses ou quelques choix de mise en scène regrettable, il a néanmoins réussi à rester au plus près de la réalité vécue par tant de migrants, en évitant l'excès de pathos, mais en ne se privant pas d’émouvoir.   

7,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Drame
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