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LA RÉSURRECTION DU CHRIST

un film de Kevin Reynolds.

Bien que peu friand, je dois le dire, de films américains d'inspiration biblique (ces films étant, le plus souvent, très décevants), je me suis résolu à aller voir celui-ci, ne serait-ce que pour pouvoir répondre aux personnes qui me demandaient mon avis. Eh bien, je peux à présent le donner et, je le dis d'emblée, il ne sera pas très tendre !

Car, bien sûr, comme je le pressentais, on a affaire à un film grossier, sans nuances, contredisant les textes des Evangiles, et rempli d'incohérences. La seule bonne idée de scénario, c'est d'avoir déroulé les événements de la Passion et de la Résurrection sous le regard d'un témoin étranger au groupe des disciples, un tribun romain du nom de Clavius (Joseph Fiennes). Témoin de la mort de Jésus en croix, celui-ci est, plus tard, délégué par Pilate afin de rechercher le corps du supplicié car il s'agit de faire taire les rumeurs annonçant sa résurrection. Secondé par Lucius (Tom Felton), le tribun mène l'enquête, allant jusqu'à rechercher le corps de Jésus parmi les cadavres entassés dans un charnier et se mettant à la poursuite de ses disciples. Le film se mue par conséquent en une sorte de polar à tendance apologétique car, évidemment, le brave Clavius, voyant lui-même de ses yeux Jésus ressuscité, se convertit et accompagne les apôtres jusqu'en Galilée.

Cela étant dit, il ne reste qu'à énumérer les nombreuses incohérences du scénario, les effets de mise en scène déplorables, le peu de crédibilité des acteurs assez souvent mal dirigés, etc. On dirait que le scénariste s'est attaché, par moments, à respecter à la lettre l'un ou l'autre récit des Evangiles, puis, à d'autres moments, à prendre ses aises et à imaginer des scènes qui, si l'on y réfléchit, paraissent bien peu convaincantes. Au début du film, quand Jésus meurt, le ciel s'assombrit, la terre tremble et les murailles de la ville se fissurent, ce qui peut assez bien s'accorder avec l'Evangile selon St Matthieu (27, 51). Mais, plus tard, on est surpris de voir les membres du sanhédrin accompagner, un jour de sabbat, Pilate et Clavius au tombeau de Jésus pour s'assurer que le corps est toujours là.

Le réalisateur, heureusement, s'est gardé de mettre en scène la résurrection proprement dite. Mais il n'a pas pu s'empêcher de la faire raconter par un des gardes qui, bien évidemment, évoque une lumière aveuglante, un énorme bruit et autres effets de cette sorte. Description qui n'a aucun fondement, les Evangiles ne comportant aucun récit de ce genre.

On pourrait multiplier les descriptions de scènes peu crédibles, mais je préfère aller à l'essentiel, à ce qui me paraît le plus incongru dans ce film. On y voit le groupe des disciples (Marie-Madeleine et les apôtres) depuis Pâques jusqu'à l'Ascension. Leur manière d'être manque totalement de cohérence : tantôt ils donnent l'impression d'être sans peur, déjà tout à la joie d'être les témoins du Ressuscité, tantôt ils se cachent des Romains comme des bandits fuyant des adversaires. Il faut dire que les acteurs sont très mal dirigés, le pompon revenant à celui qui joue le rôle de Barthélémy (on le croirait échappé d'un groupe de hippies des années 60 n'ayant que « peace and love à la bouche ! Ridicule!). D'autre part, et c'est en contradiction avec les récits des Evangiles, les apôtres donnent l'impression, dans ce film, de n'avoir aucune difficulté à croire que c'est bien Jésus ressuscité qui est avec eux. Les textes font pourtant mention de leurs doutes, mais, dans le film, les apôtres ne semblent même pas étonnés de voir Jésus vivant au milieu d'eux !

Quant à l'acteur qui joue le rôle de Jésus (Cliff Curtis), son manque total de charisme le rend bien peu crédible. Mais c'est le fait même de le montrer incarnant Jésus mort en croix puis Jésus ressuscité qui provoque la gêne. Les textes des Evangiles insistent sur l'étonnement, voire l'effroi des disciples qui croyaient avoir affaire à un esprit et sur leur difficulté à reconnaître Jésus. Mais de cela, il n'est pas question dans ce film : au contraire, les disciples semblent trouver tout naturel que Jésus soit vivant, ils ne sont nullement troublés et ils sont déjà prêts à témoigner de leur foi. Et les voilà qui vont en Galilée, poursuivi par l'armée romaine, d'autant plus que Clavius a déserté pour les suivre ! Pour finir, le réalisateur n'a pas pu s'empêcher de mettre en scène l'Ascension à grands coups de lumière aveuglante et de mouvement de caméra s'élevant au ciel !

L'intention apologétique est évidente, mais ne convaincra que ceux qui le sont déjà. Ce qu'il faut dire, me semble-t-il, c'est que réaliser un film sur la résurrection est une gageure qui ne peut être tenue. Aucun film, quel qu'il soit, ne saurait être satisfaisant et ce film-ci ne l'est pas du tout. Les textes suffisent.

2/10

Luc Schweitzer, sscc.

 

ADDENDUM AU FILM « LA RÉSURRECTION DU CHRIST ».

 

En guise d'addendum à ma critique du film « La Résurrection du Christ » de Kevin Reynolds, je ne trouve rien de mieux que d'emprunter de larges citations d'un livre dont je recommande fortement la lecture (« Petite théologie du cinéma » de Jean Collet et Michel Cazenave, éditions du Cerf). C'est Jean Collet qui s'exprime :

« …les films les plus authentiquement spirituels sont rarement nés des bonnes intentions de cinéastes croyants. Presque toujours, ce sont des cinéastes extérieurs à toute religion qui ont réalisé des films vraiment spirituels.

Ce paradoxe, loin de troubler les croyants – dont je suis - , devrait au moins rassurer les chrétiens, car il est au cœur même de l'Evangile : « Le Vent souffle où il veut. » Autrement dit, l'Esprit n'appartient pas à ceux qui le revendiquent. Tout l'enseignement de Jésus gravite autour de ce paradoxe. Il a scandalisé les pharisiens – ceux qui se croyaient propriétaires de la vérité et de son mode d'emploi – au point qu'ils en sont arrivés à faire condamner et mettre à mort le Christ. Scandale donc du christianisme où Dieu se révèle aux petits, voire aux pécheurs (saint Paul), à la femme adultère, à ceux qui cherchent, et surtout pas à ceux qui croient avoir trouvé !

(…) Ce paradoxe est au cœur de toute création véritablement artistique et résume peut-être ce que nous pouvons connaître de l'Esprit : il vient toujours d'ailleurs. (…) Cela ne veut pas dire que tout ce qui vient d'ailleurs, tout ce qui est étranger est de l'Esprit (…) car le mal aussi, sous les traits de l'Esprit, vient d'ailleurs.

La création artistique, comme la création charnelle, sexuée, voilà de bonnes métaphores de l'Esprit à l'oeuvre, si l'on peut dire. Godard, sur ce point, l'a souvent formulé avec humour, non sans profondeur : « Il faut être deux pour faire un film », il faut être inspiré, ouvert et fécondé par l'Esprit de l'autre. Ce que tout être humain peut éprouver dans sa propre vie, c'est qu'il s'agit toujours d'une histoire d'amour. Ici, l'expérience la plus humble rejoint la plus authentique théologie chrétienne : l'incarnation de Dieu dans l'histoire humaine.

L'art dans l'âme des choses – comme la religion - , mais par ses propres chemins. Ce sont les chemins qui nous intéressent, les lieux où souffle l'Esprit, où l'amour nous arrache à nous-mêmes. » (pp. 29-31)

Plus loin, toujours dans la bouche de Jean Collet :

« (…) Il faut oser dire que les films religieux sont le plus souvent des films médiocres, sans spiritualité. Je pense à La Passion du Christ de Mel Gibson, ce film est plein de bonnes intentions, mais la vérité sur l'écran est aux antipodes d'un projet trop pieux, car on ne triche pas avec le spirituel. Il faut beaucoup d'humilité pour faire un film authentique, il faut accepter de ne pas tout maîtriser, au lieu de vouloir dire en croyant qu'on possède la Vérité et qu'on peut l'enfermer dans des images. Alors, les images se révoltent, elles trahissent. Dans le film de Gibson, ce n'est pas le mystère de la Rédemption que révèle l'écran, mais seulement la fascination d'un cinéaste sidéré par la violence et aveuglé par le sadomasochisme. » (p. 47)

 

Si j'ai tenu à citer ces longs extraits des propos tenus par Jean Collet, c'est parce que je partage sans réserves son point de vue et que c'est une façon commode de le partager. Dans la suite de l'ouvrage, Jean Collet explicite son opinion, sa vision du cinéma, sa recherche de spiritualité dans le 7ème art, en se référant à de multiples réalisateurs comme Luis Buňuel, Alfred Hitchcock, John Ford, Carl Dreyer et plein d'autres. Je partage totalement cette conviction qu'il y a davantage, bien davantage, de spiritualité dans des films qui sont dépourvus de références explicitement chrétiennes que dans des films qu'on pourrait dire « estampillés » chrétiens. Les réserves émises par Jean Collet à propos du film La Passion du Christ peuvent facilement être adaptées au film La Résurrection du Christ : un « film plein de bonnes intentions » mais qui est dépourvu de véritable spiritualité. A contrario, l'on peut sans difficulté citer nombre de films sortis sur les écrans depuis le début de l'année et qui, sans qu'ils se réfèrent d'aucune façon à la foi chrétienne, n'en sont pas moins tout emplis de spiritualité (parce que l'Esprit y souffle) : Carol de Todd Haynes, Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase, Sunset Song de Terence Davies, L'Avenir de Mia Hansen-Løve, Julieta de Pedro Almodóvar en sont quelques exemples.

 

Luc Schweitzer, sscc.

 

 

Tag(s) : #Films
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