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BERTHE MORISOT – LE SECRET DE LA FEMME EN NOIR

Un livre de Dominique Bona.

 

 

Dernièrement, tandis que je faisais part à quelques personnes de mon projet de me rendre au musée d’Orsay pour y visiter une exposition consacrée aux œuvres de Berthe Morisot (1841-1895), je fus surpris par la réaction interrogative de mes interlocuteurs. Manifestement, ils ne connaissaient pas même le nom de cette artiste. Comment se fait-il qu’une femme peintre aussi prodigieusement douée reste encore aujourd’hui si méconnue ? Si l’on demande au tout-venant de citer des noms de peintres impressionnistes, je suppose que seront aussitôt énoncés ceux de Renoir, Manet, Monet, Degas, peut-être même Pissarro ou Sisley. Mais qui prononcera le nom de Berthe Morisot (ainsi que ce lui de Mary Cassatt, l’autre femme du groupe) ?

Cette méconnaissance est d’autant plus injuste que le talent de Berthe Morisot n’a rien à envier à celui de ses homologues masculins. Elle les fréquenta, elle se lia tout particulièrement avec Edouard Manet, mais elle fit également l’admiration d’Auguste Renoir, d’Edgar Degas, de Claude Monet ainsi que du poète Stéphane Mallarmé qui lui dédia un grand nombre de ses vers alambiqués, sans jamais se départir de sa propre voie, de son propre style, de son indépendance. Elle dut lutter pour pouvoir se consacrer pleinement à sa passion pour la peinture. Ses parents, et particulièrement sa mère, pour qui cet art ne relevait que d’un passe-temps, ne l’encouragèrent pas à en faire sa passion, d’autant plus qu’ils voyaient d’un mauvais œil ses fréquentations, en particulier avec la famille Manet. Berthe Morisot, qui, pendant longtemps, se refusa à envisager quelque mariage que ce soit, finit tout de même par épouser Eugène Manet, le frère puîné d’Edouard, dont elle aura une fille, Julie, qui fut sa fierté, son bonheur et le modèle de nombre de ses tableaux.

En visitant récemment l’exposition du musée d’Orsay, je fus fasciné par les regards des modèles peints par Berthe Morisot, combien elle avait su y suggérer l’intensité des sentiments les plus divers tout en préservant une grande part de mystère. Cette même énigme se retrouve d’ailleurs dans sa personne telle qu’elle fut peinte par Edouard Manet sur son tableau Berthe Morisot au bouquet de violettes : « Le regard surtout fascine, écrit Dominique Bona dans son excellente biographie, à la fois doux et sérieux. On n’en finirait pas de tenter d’analyser les nuances qu’il exprime. Il est en lui-même une énigme et ressemble à un gouffre. » (page 10).

Si Berthe Morisot dut s’armer d’une grande détermination pour exercer son art et, à force de persévérance, dialoguer à égalité, d’artiste à artiste, avec Manet et les autres impressionnistes, elle ne se laissa jamais détourner de sa manière à elle, de sa touche particulière. Comme le répète Dominique Bona, elle peignait « à bout de pinceau », tout en affinant de plus en plus, au fil du temps, son style, jusqu’à tendre vers une épure, un inachèvement pleinement assumé, qui semblent comme les prémisses de ce que sera, plus tard, l’art abstrait. Elle ne peint que le bonheur, elle préfère, par-dessus tout, peindre des enfants ou de très jeunes filles. Elle qui, hormis en tant que mère, ne fut jamais ni vraiment épanouie ni heureuse, projette sur ses toiles ses rêves de sérénité. « Elle ne peint pas ce qu’elle est, écrit Dominique Bona, (…) elle peint ce qu’elle voudrait être. » (page 206).

Il est temps de la découvrir en admirant ses œuvres et, pourquoi pas, en lisant le remarquable ouvrage de Dominique Bona, qui abonde en informations précieuses sur Berthe Morisot et les autres Impressionnistes. Il est temps, aussi, de réviser ses préjugés et de considérer les femmes au même titre que les hommes, entre autres quand il s’agit des arts, quels qu’ils soient. Berthe Morisot, qui fut toujours davantage entourée de femmes que d’hommes, émit, une seule fois, au cours de sa vie, un jugement collectif sur les premières, après avoir fait la rencontre de Marie Bashkitrseff (auteure d’un précieux journal intime et peintre plutôt académique, morte à 24 ans) : « Vraiment, écrit-elle, nous (les femmes) valons par le sentiment, l’intention, la vision plus délicate que celle des hommes et si, par hasard, la pose, la pédanterie, la mièvrerie ne viennent à la traverse, nous pouvons beaucoup. » (page 326). Elle en fut elle-même le parfait exemple. 

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Biographies, #Livres, #Peinture
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