Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

MARTIN EDEN

Un film de Pietro Marcello.

 

Dans Martin Eden, roman publié en 1909, Jack London, sans nul doute, a mis beaucoup de lui-même, de sa vie, de ses expériences. Son personnage éponyme lui ressemble par bien des aspects. C’est un aventurier, un matelot, un homme d’abord inculte, mais bientôt déterminé à se hisser à un niveau bien supérieur, au point d’avoir l’ambition de devenir écrivain, quitte à tout apprendre par ses propres moyens, en autodidacte. Cette aspiration ne le quitte plus depuis sa rencontre avec Ruth, la sœur d’un jeune homme qu’il a secouru lors d’une rixe. Elle l’introduit dans sa famille bourgeoise et, ainsi, lui fait entrevoir un autre monde que celui dont il est issu, un monde de luxe et de culture. Par amour pour la jeune fille, Martin Eden se met à l’étude avec la détermination de parvenir à écrire et de devenir quelqu’un de célèbre. Mais, au fil du temps, la bourgeoisie, qu’il avait prise pour modèle, révèle ses failles à ses yeux. Hormis quelques exceptions, en particulier un homme du nom de Russ Brissenden avec qui il se lie d’amitié, la plupart des membres de la classe bourgeoise qu’il fréquente ne comprennent rien à l’art véritable. De plus, Il faut beaucoup de temps à Martin Eden pour se faire admettre en tant qu’écrivain, pour enfin être publié dans une revue, après bien des échecs. Et quand, enfin, le succès arrive, il est trop tard : amer, déçu par les hypocrisies de tous genres, le jeune ambitieux a perdu ses illusions et n’a plus goût à grand-chose.

Ce roman, l’un des meilleurs de Jack London, Pietro Marcello a choisi de l’adapter très librement en en situant l’action à Naples pendant le XXème siècle. Difficile d’ailleurs d’indiquer une période précise, comme si le réalisateur n’avait pas voulu faire un vrai choix de temporalité. Le critique du Monde estime que l’action se déroule dans la première moitié du XXème siècle, ce que semblent confirmer les images d’archives insérées au cours du film, mais d’autres indices paraissent contredire cette appréciation, donnant à penser que l’action se déroule à la fin des années 50, voire plus tard encore. Cela dit, malgré cette imprécision, le film ne manque pas de qualités, à commencer par le choix des acteurs, très convaincants. Luca Marinelli en Martin Eden parvient parfaitement à conférer à son personnage sa dualité, à faire se conjuguer son côté « aventurier » et son côté « artiste ». De même Jessica Cressy dans le rôle d’Elena Orsini (c’est le nom attribué à la jeune Ruth du roman) : sa beauté est telle qu’elle semble échappée d’un tableau de Botticelli, mais ses airs diaphanes peuvent parfois laisser place à davantage de fermeté.

Pietro Marcello ne craint pas les ellipses, le plus important n’étant pas de tout filmer mais de faire entrevoir ce qu’éprouve Martin Eden, un homme qui n’est jamais vraiment à sa place : il n’est plus tout à fait chez lui lorsqu’il fréquente les marins ou les ouvriers (lors d’une scène, on le prend faussement pour un socialiste), il ne l’est pas davantage dans les salons de la bourgeoisie. Ses ambitions d’écrivain prennent naissance lors d’un échange avec Elena au sujet de Baudelaire, mais lorsque Martin se met à écrire, la noirceur de ses récits déplaît à la jeune femme. Peut-on sortir de sa condition d’origine sans se perdre soi-même dans un irrémissible désappointement ? D’une certaine façon, Martin Eden illustre le drame de tout artiste désireux d’être libre, de ne s’affilier à aucun parti, aucune classe, car, s’il le faisait, il aurait le sentiment de se renier. Mais la liberté a un prix, et il peut être extrêmement couteux. 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

 

Tag(s) : #Films
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :