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TOUT SIMPLEMENT NOIR

Un film de Jean-Pascal Zadi et John Wax.

 

 

Il ne fait pas de doute que Jean-Pascal Zadi « a du pif », comme il le dit en personne lors d’une des séquences du film. Réalisé avant la mort tragique de George Floyd, étouffé par un policier blanc lors de son interpellation, Il sort sur les écrans pile poil au bon moment, si l’on peut dire, comme s’il avait été imaginé pour entrer en résonance avec l’actualité. De plus, il rend compte de son sujet de la meilleure manière qui soit : plutôt que d’appeler à déboulonner des statues (une bien mauvaise idée, je trouve), Jean-Pascal Zadi et John Wax préfèrent, à bon escient, user d’humour, d’autodérision et, surtout, inviter quiconque à se questionner ou à remettre en question ses convictions. C’est le grand mérite de ce film, que de mettre sinon du doute, en tout cas de la controverse, là où s’affirment les certitudes et les à priori.

Le film se présente sous la forme d’un faux documentaire sur Jean-Pascal Zadi. Le dispositif est ingénieux, il donne lieu à un grand nombre de scènes chaotiques, souvent drôles, mais parfois au risque de l’affèterie ou de la redondance. Beaucoup de séquences, néanmoins, forcent l’admiration, d’autant plus lorsqu’elles sont conçues comme de petits sketchs avec retournement de situation à la clé, ce qui est le cas à de nombreuses reprises. Dès la première scène d’ailleurs, alors que Jean-Pascal exprime, face à la caméra, sa colère et son dépit de constater que « l’homme noir » est et demeure absent du grand roman national, l’on voit, en arrière-plan, apparaître sa femme, une blanche qui le rappelle à ses devoirs d’époux. « Tu as pensé à suspendre le linge ? », lui demande-t-elle en substance !

Qu’à cela ne tienne ! Jean-Pascal est déterminé : il s’est mis en tête d’organiser « une marche de contestation de l’homme noir » qui partira de la place de la République à Paris le 27 avril, jour anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Or tout le film s’ingénie, à coups de sketchs faisant intervenir une ribambelle de personnalités, à mettre en question chacun des points de cette résolution, à commencer par ce qu’il y a de plus élémentaire, la définition de « l’homme noir ». A cela s’ajoutent des revendications féministes. Car, enfin, pourquoi réserver cette marche aux hommes sans y convier les « femmes noires », encore plus absentes de l’histoire que ces messieurs ? Quant à la date choisie, c’est peu de dire qu’elle ne plaît pas à tout le monde : c’est « une date de blancs », estiment certains. Ce qui entraîne un débat de plus, afin de déterminer la date qui pourrait convenir à tous.

Or c’est précisément la difficulté de se rassembler autour d’une même cause que le film explore avec brio. On parle souvent de communautarisme, entre autres à propos des noirs. Le film met à mal cette idée toute faite en mettant en évidence les divisions, bien plus que l’unité. Les motifs de désunion, voire d’affrontement, sont légion, quitte à trouver leur justification dans ce qu’il y a de plus futile. Ainsi de Fabrice Éboué (d’origine africaine) et de Lucien Jean-Baptiste (d’origine martiniquaise) qui s’écharpent gaillardement au sujet de leurs films respectifs. Et c’est un désastre semblable qui solde quasiment chacune des rencontres que fait Jean-Pascal Zadi afin de convaincre les uns et les autres de participer à la marche qu’il organise.

Enfin, si le film s’appuie volontiers sur une bonne part d’humour et d’autodérision, s’il s’emploie à dynamiter les idées reçues, il lui arrive aussi, à deux ou trois reprises, de confronter le spectateur avec les réalités les plus crues. Quand Mathieu Kassovitz se plaint de voir débarquer pour un de ses films, en la personne de Jean-Pascal, un « Black de banlieue » plutôt qu’un « vrai Africain » et qu’en fin de compte il lui mesure la largeur des narines ou quand des policiers, de manière totalement injustifiée, interpelle brutalement le même Jean-Pascal, le rire, pour un moment, n’est vraiment plus de mise.

7,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Comédie
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