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THE VAST OF NIGHT

Un film de Andrew Patterson.

 

C’est un premier film, il est réalisé avec un savoir-faire stupéfiant et, après avoir été refusé par une quinzaine de festivals, a enfin été projeté à Slamdance en 2019. Depuis lors, il a impressionné pas mal de spectateurs, à commencer par Steven Soderbergh, si admiratif qu’il a tenu à en rencontrer le réalisateur. Néanmoins, il a fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour qu’il soit visible par le grand public, non pas en salle sur grand écran, ce qu’on ne peut que déplorer, mais sur Prime Video.

Qu’à cela ne tienne, le film semble déjà promis au statut d’œuvre culte. Lorgnant du côté de la série mythique La Quatrième Dimension, mais en se gardant d’en être une simple imitation, son action se déroule de nuit, en temps réel, et quasiment sans recourir aux effets spéciaux. Ici, comme dans les meilleurs films de genre, qu’ils soient d’épouvante ou, comme c’est le cas du film en question, de science-fiction, tout est suggéré bien plus que montré, et c’est d’autant plus efficace.

Pour résumer brièvement la teneur du film, sans rien divulgâcher, nous sommes transportés dans les années 50, un soir d’été, à Cayuga, petite ville imaginaire du Nouveau-Mexique. Tous les habitants sont réunis dans la salle de sport locale où a lieu un match de basket. La caméra virevolte au milieu de tous ces gens pour s’attacher à deux d’entre eux, deux adolescents de 16 ou 17 ans, Fay et Everett, qui n’arrêtent pas de parler. Une logorrhée associée à une caméra qui s’obstine à poursuivre des personnages qui ne tiennent pas en place, cela a de quoi dérouter un peu. C’est l’entrée en matière, une façon de se familiariser avec les deux protagonistes, cela ressemble à une imitation de Woody Allen, cela dure un quart d’heure, c’est la partie la moins intéressante du film ou, plus exactement, la plus déconcertante.

La caméra a suivi Fay et Everett quittant la salle de sport et s’enfonçant dans la nuit, pendant qu’ils dissertent sur ce que pourrait être le futur. C’est une manière de préparer le spectateur à ce qui va suivre. Les deux jeunes gens se séparent, Fay travaillant au standard téléphonique de la ville et Everett en tant que DJ dans un studio de radio. De ce fait, il est facile aux deux adolescents d’entrer en contact l’un avec l’autre, même à distance. Et c’est ce qui se produit bientôt, Fay étant de plus en plus intriguée par des bruits parasites ainsi que par des coupures sur les lignes téléphoniques.

Même si la logorrhée du début du film pouvait sembler décourageante, il faut rapidement admettre que c’est la force du film que de miser sur la parole, les témoignages, les histoires racontées et, du coup, l’imagination des spectateurs. Nul besoin de montrer des vaisseaux volants dans le ciel, il suffit de récits. Car Fay et Everett, curieux et inventifs, entrent en communication avec deux inconnus qui témoignent, par la parole, de ce qu’ils ont vu. Par ce biais-là, mine de rien, le film s’enrichit d’un point de vue politique comme d’un point de vue, on pourrait dire, philosophique. Ce n’est jamais banal que de mettre l’accent sur les laissés-pour-compte, ce n’est jamais anodin que de s’interroger sur les difficultés de communication entre les êtres (humains ou non) ainsi que sur le libre-arbitre.

Ce qui pourrait n’être qu’un petit film de série se propose, au contraire, malgré le peu de moyens dont disposait, manifestement, le réalisateur, comme un grand film qui questionne. Lorsque le premier des deux témoins, ancien militaire, s’interrompt pour préciser qu’il est noir, lorsqu’il ajoute que l’histoire de mise en danger qu’il raconte était réservée délibérément aux soldats noirs (ceux qu’on pouvait propulser dans des missions à risque), c’est la question du racisme qui s’invite sur l’antenne de la radio. Everett avoue d’ailleurs que, jusque là, aucun noir n’était encore intervenu sur celle-ci !

Fay et Everett ne sont pas au bout de leurs surprises. Alors que tous les habitants du bourg sont occupés par un match de basket, eux se métamorphosent en enquêtrice et enquêteur. Au passage, le film propose un plan-séquence vertigineux traversant la ville entière afin de relier l’un à l’autre les deux adolescents. Le morceau de bravoure est hallucinant et prouve que, même avec peu de moyens, quelqu’un de doué peut réussir avec brio un véritable tour de force. Malgré quelques défauts mineurs (les clins d’œil à La Quatrième Dimension, par exemple), le film fascine, il entraîne irrésistiblement le spectateur dans sa nuit, sa nuit très singulière. 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Science-fiction
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