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LE MUR INVISIBLE

Un roman de Marlen Haushofer.

 

Un jour, une femme qui séjourne dans un chalet des montagnes autrichiennes se retrouve prisonnière d’un mur invisible. Que s’est-il passé ? Y a-t-il eu une catastrophe planétaire ? C’est plus que probable puisque, de là où elle est, la femme peut distinguer, au-delà du mur qui l’encercle, des formes humaines qui semblent aussi figées que des statues. Mais, dans ce cas, pourquoi a-t-elle été épargnée ? Et d’où vient ce mur infranchissable qui, s’il la protège, fait d’elle une captive ? Pourquoi un territoire a-t-il été préservé du désastre, territoire assez vaste mais où, apparemment, il ne se trouve aucun autre humain que la femme ?

Au sujet de ces questions, le livre ne donne pas de réponses précises. Et il en donne d’autant moins qu’il se présente comme le journal de la femme sauvée. Or elle n’a aucun moyen de savoir ce qui s’est réellement passé. Elle n’a d’ailleurs pas le loisir de s’appesantir sur cette énigme. Le mur lui-même, si la femme s’interroge beaucoup à son sujet au début de ses écrits, finit par quasiment disparaître de ses préoccupations. Le plus important, en effet, ce qui l’accapare, c’est de trouver les moyens de survivre, toute seule, dans l’espace où elle peut se mouvoir.

Voilà de quoi il est question, le plus souvent, dans son récit. Elle raconte les jours, les semaines, les mois et les années de son combat pour sa survie, elle raconte ses peines, ses travaux incessants, ses maigres joies, ses peurs. De ce fait, obligatoirement, la chronique se présente sous une forme répétitive et assez monotone. Cependant, heureusement, Marlen Haushofer (1920-1970) réussit à trouver des moyens de réactiver l’intérêt du lecteur au long des pages. La lutte quotidienne de la femme l’oblige à prendre beaucoup de décisions très concrètes : économiser le peu qu’elle possède (des allumettes par exemple) afin de ne pas se trouver en état de pénurie avant longtemps, apprendre à cultiver la terre, à y planter des pommes de terre, à y faire pousser des haricots, se résigner à tuer des animaux sauvages pour s’en nourrir, etc.

Justement, ce sont les animaux, mais domestiques cette fois, qui occupent une bonne partie des pages du journal. Puisque la femme se trouve totalement privée de ses semblables, c’est à ses compagnons du règne animal que s’adressent ses soins, voire ses sentiments affectueux. À ses côtés, il y a, en effet, au fil du temps, une vache, un taureau, un chien, une chatte et bientôt des chatons. Ces animaux, s’ils l’obligent à une somme de travail supplémentaire, alors qu’elle est déjà contrainte à de nombreux labeurs éreintants, constituent aussi sa planche de salut. Ils contribuent fortement à la préservation de son humanité. Car, bien sûr, c’est cette question qui est sous-jacente à tout le roman. De temps à autre, d’ailleurs, alors que le récit reste le plus souvent prosaïque, il s’enrichit de réflexions à ce sujet. « Souvent, écrit par exemple la femme, j’essaie de me traiter comme un robot : fais ceci et va là-bas et n’oublie pas de faire cela. Mais je n’y parviens qu’un court instant. Je suis un mauvais robot. Je reste un être humain qui pense et qui sent et je ne pourrai pas perdre l’habitude de le faire. »

En fin de compte, tout au long de ma lecture, il me semblait avoir affaire à une sorte de variation moderne, postapocalyptique et féministe de Robinson Crusoé. Le territoire de survie de la femme n’est-il pas comparable à une île ? Ne s’agit-il pas de survivre à des conditions extrêmes et à la solitude tout en conservant son humanité ? À ce sujet, le héros de Daniel Defoe est d’ailleurs le plus chanceux puisqu’il finit par se trouver un compagnon en la personne du dénommé Vendredi. La femme du roman de Marlen Haushofer doit se contenter, quant à elle, de ses chers animaux, tant qu’ils vivent à ses côtés.

7,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Romans
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