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ÉTÉ 85

Un film de François Ozon.

 

 

Comme la plupart des cinéastes de talent, François Ozon construit, au fil des années, une filmographie cohérente, habitée, hantée même, pourrait-on dire, par un certain nombre de thèmes, qu’il ne cesse d’explorer, d’une manière ou d’une autre. De ce point de vue, d’ailleurs, son long-métrage de 2019, Grâce à Dieu, pouvait faire figure de parenthèse, non pas parce que c’était un film mineur, bien au contraire, mais du fait d’un sujet, disons, hors normes dans sa production. Aujourd’hui, au contraire, Été 85 s’accorde à merveille avec un grand nombre d’œuvres réalisées précédemment par Ozon.

On devine le réalisateur très à l’aise, très en confiance, avec ce film dont l’action se situe sur la côte normande de l’été ensoleillé de 1985, là où les deux protagonistes principaux évoluent, deux adolescents : Alexis (Félix Lefebvre), 16 ans, et David (Benjamin Voisin), son aîné d’un ou deux ans, le plus endurci et plus entreprenant des deux. Leur rencontre se produit sur l’océan, au large, un soir où, alors qu’il s’est aventuré sur une petite embarcation, Alexis se retrouve en grande difficulté et risque de périr noyé. Il en réchappe grâce à David qui s’est porté à son secours. Mais, déjà, l’on pressent qu’on va avoir affaire à une histoire à deux faces, l’une lumineuse, l’autre sombre.

En 2013, dans Jeune et jolie, où il mettait en scène les transgressions très risquées d’une adolescente de 17 ans, François Ozon avait habilement intégré au film un poème célèbre de Rimbaud. Dans Été 85, c’est un poème de Verlaine que lisent et commentent les deux garçons. Rimbaud et Verlaine, les deux poètes scandaleux qui partagèrent 4 années de passion amoureuse, mélange de désir, d’alcool et de violence, s’achevant par la tentative d’assassinat de Rimbaud par Verlaine.

Or, c’est bien de quelque chose de semblable dont il est question dans le film d’Ozon. Le sujet n'en est pas l’homosexualité en tant que telle, mais bien plutôt le désir avec ce qu’il comporte de bonheur et de souffrance. Le plaisir extrême qu’éprouve Alexis au contact de son aîné ne s’exprime pas seulement parce que les garçons couchent ensemble, mais aussi parce que, pendant un temps, ils partagent tout en commun. Alexis brûle d’un désir si fort qu’il ne peut être comblé. Et c’est ce manque qui provoque la souffrance, une souffrance qui ne demande qu’à prendre toute la place. Le bonheur est éphémère, on le sait bien.

Si le film est ensoleillé, s’il rayonne, non seulement parce qu’il fait beau temps, mais parce que les deux acteurs principaux crèvent l’écran, il n’en reste pas moins que quelqu’un, et pas n’importe qui, jette une ombre inquiétante sur les événements. Il n’y a rien à divulgâcher, car, dès le début du film, nous en sommes avertis : la ténébreuse invitée de cette histoire, c’est la Mort. Avec un M majuscule, comme l’exige Alexis qui se présente d’emblée comme obsédé par elle. Et, de fait, elle est omniprésente tout au long du film, même dans ce qui semble banal et très peu terrifiant. Ainsi quand Alexis compare la baignoire dans laquelle il prend un bain avec un sarcophage égyptien. En vérité, si la Mort marque tout le film de sa présence, elle ne se présente pas comme une réalité horrifique, mais plutôt comme ce qui provoque une fascination malsaine.

Le trouble ressenti par Alexis, ce qui le déstabilise, ne vient pas seulement de son obsession de la Mort, mais aussi de la découverte de plus en plus grande et de plus en plus pénible de la face cachée de l’être aimé. Même (et peut-être surtout) celui qu’on aime, on ne le connaît pas. Les apparences, à nouveau, sont trompeuses. Et le doute grandit dans l’esprit d’Alexis. Ainsi, à deux reprises, David agit comme un bon Samaritain : d’abord, quand il sauve Alexis de la noyade ; ensuite, un soir où il se porte au secours d’un garçon ivre mort. Cela semble exemplaire mais, dans les deux cas, il n’est pas du tout sûr que le garçon ait agi avec un esprit de gratuité ou de pur désintéressement.

Dès le début du film, dès la première scène, on sait que l’histoire commune d’Alexis et de David a mal tourné. Et tout le long-métrage se présente comme une suite d’allers-retours entre le récit des événements fait par Alexis et les événements eux-mêmes. Car, et c’est aussi l’un des grands points forts du film, celui-ci se présente, d’une certaine façon, comme l’œuvre de résilience d’Alexis, sa guérison si l’on veut. Pour en arriver là, une chose est nécessaire : raconter, se confier, parler, écrire. Heureusement pour lui, il se trouve deux personnes à qui il peut se confier, voire s’expliquer : d’une part, Kate (Philippine Velge), une jeune fille au pair venue d’Angleterre qui, sans aucune volonté de sa part, a été la cause du déboire d’Alexis et qui devient néanmoins sa confidente ; d’autre part le professeur de français du garçon (Melvil Poupaud) qui lui propose, puisqu’il lui est difficile de se raconter oralement à son éducatrice, de faire sa confession par écrit. On peut dire que ce sont eux, Kate et le professeur de français, qui sont les vrais bons Samaritains de cette histoire.

Quelques petites maladresses de peu d’importance (ainsi la séquence durant laquelle Alexis examine différentes manières de se suicider) n’y changent pas grand chose, le film impressionne par la justesse de son propos, le talent de ses acteurs et la finesse de sa réalisation. 

8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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