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LA MOSELLE DÉRACINÉE

Une bande dessinée de Charly Damm et François Abel.

 

 

Depuis bien des années maintenant, les pays d’Europe sont confrontés aux défis résultant de l’arrivée de nombreux migrants qui, parce que, pour diverses raisons, ils ne peuvent plus vivre décemment sur leurs terres, prennent tous les risques, affrontent des périls, dans le but de se construire une vie meilleure. Ces migrants, beaucoup ne les voient pas arriver d’un bon œil. Les gouvernements rechignent, renâclent, voire barricadent les frontières autant qu’il est possible pour ne pas les laisser pénétrer leur territoire. Combien de migrants ont péri au cours de leur odyssée ? Et combien, parmi ceux qui ont réussi à entrer en Europe, vivent, survivent plutôt, dans des conditions extrêmement précaires ?

Avons-nous la mémoire si courte ? Ne nous souvenons-nous pas qu’il n’y a pas si longtemps, c’est le territoire même de la France qui fut le théâtre des migrations de populations, dans un contexte dramatique ? Ce fut le cas, en particulier, pour les habitants des deux départements alsaciens (Bas-Rhin et Haut-Rhin) ainsi que pour ceux du département de la Moselle. C’est ce département-ci qui fait l’objet d’un devoir de mémoire sous forme d’une bande dessinée réalisée par Charly Damm et François Abel.

Compte tenu des limites inhérentes à ce genre, les deux auteurs racontent au mieux, de manière instructive, pédagogique, les années sombres que connurent les Mosellans. Plusieurs vagues de déplacement des populations eurent lieu. Dès avant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les tensions des deux côtés de la ligne Maginot ne cessaient de s’intensifier, les autorités françaises, dans le but de protéger les populations alsacienne et mosellane, obligèrent nombre d’habitants à quitter leurs villes et villages pour trouver refuge dans des départements réquisitionnés du sud-ouest de la France. Ce fut le premier choc, fort bien relaté par les auteurs de la BD. Dans les communes concernées, il fallut s’organiser dans la précipitation pour pouvoir accueillir des Mosellans qui, ô surprise, parlaient plus volontiers leur dialecte à consonnance germanique que le français. « On nous a envoyé des Boches ! », s’exclamèrent, furieux, les habitants de la Vienne ou des Charentes chargés de les recevoir. La cohabitation ne fut pas des plus aisées, on l’imagine, d’autant plus que les Mosellans évacués durent se contenter de pas grand-chose, mais, avec le temps, l’on apprit à se connaître et même à sympathiser. Quelques personnalités, à commencer par Robert Schuman, apportèrent une aide précieuse aux réfugiés mosellans. Les auteurs de la BD rappellent aussi, à juste titre, la présence bienveillante des membres du clergé, les Mosellans étant bien plus « religieux » que leurs hôtes du sud-ouest.

Mais ce sont d’autres pages, bien plus tragiques, qui furent ensuite écrites lorsque, après la drôle de guerre, les Allemands occupèrent une grande partie du territoire français et annexèrent purement et simplement les départements alsaciens ainsi que la Moselle, intégrés de force au Reich. Les années de guerre furent terribles car les autorités allemandes furent intraitables quant à la germanisation des territoires annexés. Certains Mosellans, rentrés dans leur région d’origine, furent évacués à nouveau parce que considérés comme incapables de s’intégrer à la nouvelle Allemagne. En Moselle, comme ailleurs, les Juifs payèrent le plus lourd tribut. Les Allemands se méfiaient également particulièrement de l’Eglise catholique et des religieux, considérés comme intrinsèquement rétifs à la nazification. Pour débarrasser la Moselle de ses habitants les moins susceptibles d’adopter la langue et la pensée allemandes, les autorités en place organisèrent des vagues de déportation, soit dans le sud-ouest de la France soit même en Europe de l’est, entre autres en Silésie. Plutôt que de devoir prendre le risque de porter l’uniforme allemand, des jeunes gens préférèrent se cacher, voire entrer dans la Résistance. En Moselle, des villages entiers furent vidés de leurs habitants.

En fin de compte, une fois la guerre finie, ceux qui eurent la chance de rentrer en Moselle durent vivre "dans le dénuement le plus complet car tous leurs biens avaient été vendus. » Quant à la France, précisent, pour finir, les auteurs de la BD, elle « mettra 15 ans pour leur rendre justice, moralement au moins. » 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Bande dessinée, #Histoire
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