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L’HISTOIRE PERSONNELLE DE DAVID COPPERFIELD

Un film de Armando Iannucci.

 

 

Avec Oliver Twist, David Copperfield, publié initialement en feuilleton en 1849 et 1850, est, sans nul doute, le roman le plus réputé de Charles Dickens. C’est aussi, incontestablement, son œuvre romanesque la plus autobiographique puisqu’elle nous conte le parcours d’un personnage qui, partant du plus bas de l’échelle sociale, parvient, surmontant épreuves et obstacles, à s’imposer en tant qu’écrivain. Malheureusement, contrairement aux idées toutes faites, cela reste aussi un roman méconnu chez nous, en France, où l’on considère encore, mais à tort, que la littérature de Charles Dickens ne convient qu’aux enfants et, peut-être, aux adolescents. Dans beaucoup de cas, on ne s’est même pas donné la peine de le lire, on s’est contenté de l’une ou l’autre adaptation télévisée ou, si l’on l’a lu, c’est dans une édition expurgée destinée, précisément, aux enfants.

En Angleterre, je le suppose, on ne commet pas la même erreur et l’on célèbre, avec raison, l’un des plus grands romanciers de tous les temps. Pour ce qui me concerne, pour avoir lu l’ensemble des romans de Dickens, c’est une évidence : je le place quasiment au même niveau qu’un Dostoïevski ou qu’un Balzac. Certes, il ne s’agit pas d’ignorer les défauts inhérents aux récits dickensiens : d’un côté, le trop-plein de personnages qui fait que l’on peine à aller jusqu’au bout de certains romans (les moins connus, à juste titre) ; de l’autre, la fadeur des personnages que l’on pourrait désigner comme « positifs », autrement dit ceux qui se distinguent par leurs bons sentiments et parmi lesquels il faut compter, le plus souvent, les personnages-titres des romans.

Mais ces faiblesses, si elles sont réelles, n’en sont pas moins largement compensées par les éléments qui font l'excellence du romancier Charles Dickens et qui rendent le plus grand nombre de ses récits inoubliables. Parmi ces éléments, j’en distingue trois : l’humour, la noirceur et l’excentricité. Chez Dickens, l’humour, même lors des passages les plus tragiques, reste presque toujours soit sous-jacent soit exprimé de manière évidente, imprégnant les textes d’un ton unique, reconnaissable entre mille. Mais, chez cet auteur, il ne faut ni minimiser ni édulcorer la noirceur : les romans de Dickens abondent en passages décrivant des situations de pauvreté, voire de misère, extrêmes, de sévices infligés à des enfants, de calamités de toutes sortes. Enfin, ce qui contribue indéniablement à la grandeur des récits dickensiens, c’est l’abondance de personnages excentriques, originaux, marginaux, extravagants, etc. Dieu sait si Dickens sait comment s’y prendre pour les rendre inoubliables à ses lecteurs. Encore une fois, tous ces éléments prouvent, si besoin est, qu’on n’a pas affaire à un auteur pour enfants. Quand les romans de Dickens paraissaient en feuilletons dans les journaux de Londres, ce n’était pas des enfants qui les lisaient, mais des adultes qui leur réservèrent le grand succès qu’ils méritaient.

Tout cela pour inviter à lire Charles Dickens et à ne pas se contenter d’adaptations cinématographiques. Un mot, cependant, sur le film de Armando Iannucci qui vient d’être ajouté au catalogue disponible sur Prime Video. Le scénario reste, m’a-t-il semblé, extrêmement fidèle au roman. Quant à la lettre, par conséquent, pas de surprise désagréable. Mais, quant à la forme, le réalisateur choisit de privilégier l’un des éléments qui font la caractéristique de Dickens : il souligne abondamment l’excentricité de nombreux personnages de l’intrigue au moyen d’une mise en scène virevoltante, parfois audacieuse, tout en étant servi par d’excellentes prestations d’actrices et d’acteurs bien choisis et bien dirigés. On notera d’ailleurs la présence au casting d’acteurs et actrices noirs ou asiatiques, ce dont je me réjouis (peu importe, dans ce cas, la fidélité à Dickens). Reste que, la réalisation étant assez pétaradante, le film s’éparpille quelque peu, prenant le risque de dérouter. Il faut néanmoins saluer encore les performances des actrices et acteurs : du point de vue de la bizarrerie des personnages, on est servi. C’est un peu au détriment de la noirceur. Certes, elle est bien présente au début du film, lorsque David Copperfield, enfant, est contraint de travailler dans un atelier et de subir des brimades et des sévices. On notera la voix sourde, rauque, du patron de ce lieu, voix qui le rend particulièrement inquiétant, bien plus que s’il se mettait à hurler. L’autre personnage sombre et obséquieux du roman, personnage nommé Uriah Heep, n’est malheureusement qu’esquissé dans le film (alors que, dans le roman, si mes souvenirs sont bons, Dickens le décrit abondamment). Quant à l’humour proprement dickensien, on le retrouve, ça et là, dans le film, grâce, par exemple, aux figures mémorables du couple Micawber, pourchassé par ses créanciers. Pour résumer mon sentiment, disons que ce film, fidèle à la lettre, réussit, à peu près, à être fidèle aussi à l’esprit de Dickens. C’est donc une réalisation honorable qui, je l’espère, incitera à lire les romans du grand écrivain anglais.

7,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Ecrivain, #Comédie dramatique
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