le maître du mélodrame hollywoodien.
Une grande partie de la filmographie de Douglas Sirk (1900-1987) étant à présent disponible en DVD (en particulier grâce aux éditions Carlotta), on peut enfin voir et revoir des films qui ne sont que rarement diffusés à la télévision. Et ce que l’on découvre est admirable. Bien sûr, Sirk n’a pas réalisé que des chefs d’œuvre, mais pas un de ses films n’est dénué d’intérêt.
Né à Hambourg d’une famille d’origine danoise, c’est en Allemagne qu’il tourne ses premiers films. Puis, comme beaucoup de cinéastes européens de sa génération, il est contraint de fuir le nazisme. Après avoir séjourné en France, il émigre aux Etats-Unis. Il y végète pendant quelque temps, car ce n’est que dans les années 50 qu’il s’impose comme un des grands cinéastes d’Hollywood.
Sirk s’illustre dans plusieurs genres cinématographiques : la comédie, le film d’aventures (« Capitaine Mystère ») et même le western (« Taza, fils de Cochise »). Mais c’est dans le genre mélodramatique qu’il s’impose comme un maître et qu’il réalise ses films les meilleurs : « Le secret magnifique », « Tout ce que le ciel permet », « Demain est un autre jour », « Ecrit sur du vent », « La ronde de l’aube » (d’après un roman de William Faulkner).
Enfin, juste avant qu’il ne tombe malade et décide d’en finir avec sa carrière de cinéaste, il réalise les deux films les plus aboutis de toute son œuvre. En 1957, il tourne « Le temps d’aimer et le temps de mourir », qui est l’adaptation d’un roman d’Erich Maria Remarque. On y accompagne les pérégrinations d’Ernst, un soldat allemand revenant du front russe en 1944 et découvrant sa ville natale détruite par des bombardements. En quoi, en qui peut-il encore accorder sa confiance ? Sûrement pas en l’Allemagne nazie ! En l’amour pour Elisabeth, une jeune femme qu’il rencontre au milieu des ruines ? En Dieu, peut-être ? Un de ses anciens professeurs, qu’il rencontre et à qui il fait part de ses doutes, lui répond : « Jamais Dieu ne vient à manquer : c’est nous qui manquons à Dieu ».
En 1959, Sirk fait ses adieux à Hollywood avec son plus grand chef d’œuvre, « Le mirage de la vie ». Il s’approprie une histoire déjà illustrée au cinéma en 1934 par John M. Stahl et en fait un film sublime. Tout est parfait dans cette œuvre qui ne se contente pas de provoquer de l’émotion chez le spectateur (c’est le propre du mélodrame), mais qui invite aussi à une critique sans concession de l’Amérique des années 50 marquée par le racisme. « Sans amour, dit la chanson du générique, nous ne vivons qu’une imitation de la vie ».
Au début des années 60, Hollywood se transforme, une nouvelle génération de cinéastes apparaît, peu sensible au genre mélodramatique qui, du coup, entre en déclin. Cependant, l’on trouvera toujours, parmi les réalisateurs, des admirateurs de Sirk : Fassbinder en faisait partie, mais aussi, de nos jours, des cinéastes comme Todd Haynes (« Loin du paradis ») ou François Ozon (« Angel »). Le mélodrame n’a pas encore dit ses derniers mots…
Luc Schweitzer.