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SERRE MOI FORT

Un film de Mathieu Amalric.

 

 

Les films précédents de Mathieu Amalric m’avaient plus ou moins laissé au bord du chemin, ou au bord des images. Il ne s’est rien de tel avec Serre moi fort, un film pourtant complexe, mais qui, dès les premières scènes, m’a happé pour ne plus me lâcher. Cela est-il dû à la force d’un scénario cependant alambiqué ou à l’aura des personnages et de leurs interprètes ? Les deux à la fois, très certainement.

Le pitch (très court résumé) du film nous explique que « ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va ». Dans cette phrase, il faut surtout retenir le verbe « semble », qui nous prévient qu’il ne faut pas se laisser abuser par nos premières impressions de spectateurs. En effet, au début du film, nous assistons bel et bien à un départ  : Clarisse (Vicky Krieps) quitte son mari Marc (Arieh Worthalter) et ses deux enfants Lucie et Paul, prenant la route au volant d’une antique voiture pour quitter les montagnes où elle se trouve afin de gagner la mer. Dans le chalet qu’elle a abandonné, au matin, mari et enfants se débrouillent sans elle et, cependant, sans s’affoler de sa disparition.

Cela paraît dès lors énigmatique et l’on ne manque pas, en tant que spectateurs, de se poser des questions. Tout le film se déploie ensuite, par petites touches, au moyen de scènes en général assez courtes, naviguant entre la fugue de Clarisse et des scènes de famille (avec ou sans Clarisse, les enfants apparaissant à deux âges de leur vie, celui de l’enfance précisément ou celui de l’adolescence). À nous de nous débrouiller avec l’écheveau de ces scènes, à nous d’essayer d’y mettre un peu d’ordre ou, plus simplement, de les recevoir telles qu’elles sont en faisant le pari que tout se clarifiera, au moins un peu, à un moment ou à un autre. Et c’est, en effet, le cas.

En réalité, on peut le dire, je crois, sans trop en dévoiler, tout le film s’articule autour d’un deuil, d’une perte terrible, épouvantable, un séisme qui a fait voler en éclats une famille, l’a détruite à jamais. Il faut comprendre, de ce fait, que ce que le film montre est, dans certains cas, de l’ordre d’une construction mentale, édifiée comme pour conjurer le sort ou pour sortir de l’inéluctable. Mathieu Amalric n’éprouve jamais le besoin, pour nous faire percevoir qu’on passe, disons, du réel à l’imaginaire, d’user d’effets spéciaux comme on le faisait dans le cinéma classique. Tout est filmé d’un même trait, pourrait-on dire, et c’est à nous de démêler les scènes. La construction de cette œuvre s’avère déstabilisante, c’est sûr, mais elle est si riche de suggestions et d’harmoniques que l’on n’a guère de peine à se laisser fasciner. Peu importe si l’on ne comprend pas tout, il faut se défaire de ses repères habituels pour entrer dans un voyage intérieur, celui d’une femme qui se raccroche à ce qu’elle peut pour ne pas sombrer.

Le plus important, peut-être, l’un des principaux fils conducteurs du film, c’est la musique. Elle irrigue, en quelque sorte, tout le film. La musique de piano, en particulier, puisque c’est l’instrument dont joue Lucie, la fille de Clarisse. Depuis ses tâtonnements de débutante, quand elle s’essaie à jouer La Lettre à Elise, jusqu’à l’audition qu’elle s’apprête à passer au conservatoire, elle emplit le film de vibrations et de tensions. Dans sa voiture, Clarisse écoute sur une cassette des pièces de piano jouées par sa fille. Et, lors d’une des scènes les plus fortes du film, elle voit sur un écran de télévision un documentaire consacrée à la grande pianiste Martha Argerich : son visage lumineux, éclairé d’un sourire, tandis qu’elle est en train de jouer, c’est comme l’irruption d’une espérance qui vient rompre, l’espace d’un instant, le poids du désespoir, faire entrer la lumière là où règne la nuit.

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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