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TROMPERIE

Un film de Arnaud Desplechin.

 

 

C’est, me semble-t-il, une gageure, presque impossible à tenir, que d’adapter (de manière suffisamment captivante) quelque livre que ce soit du romancier juif new-yorkais Philip Roth à l’écran. Arnaud Desplechin, que j’ai eu maintes occasions de louer, tant j’ai apprécié un grand nombre de ses films, malgré son indéniable talent, échoue à faire de Tromperie, roman paru en 1990, autre chose qu’une œuvre cinématographique verbeuse qui se regarde avec une lassitude presque ininterrompue. Comment faire autrement, d’ailleurs, on se le demande, avec un écrivain aussi amoureux de l’écrit que Philip Roth ? Dans le film, il se décrit lui-même comme un audiophile, comme quelqu’un qui se régale à écouter autrui pour en transmuter les paroles en littérature. Dans un livre, pas de problème, il y a largement de quoi se délecter à la lecture de Philip Roth. Mais à l’écran, c’est autre chose, l’exercice de style ne tarde pas à devenir terriblement soporifique.

Ce qui sauve, malgré tout, le film d’un ennui total, c’est que, fidèle au roman, Desplechin a pris soin de multiplier les points de vue, ce qui l’autorise ainsi à aborder plusieurs thématiques, celles qui, précisément, sont récurrentes dans toute l’œuvre de Philip Roth : le sexe, bien sûr, mais aussi la maladie et la mort, ainsi que, bien évidemment, les femmes, et également la judéité et la littérature. Pour donner chair aux personnages du livre et, par ce moyen, traiter de tous ces sujets, Desplechin a fait appel à des actrices et acteurs de talent, jamais pris en défaut. Denis Podalydès dans le rôle de l’écrivain, c’est un excellent choix, tout comme de confier à Léa Seydoux celui de son amante de Londres, à Emmanuelle Devos celui d’une amante new-yorkaise atteinte par un cancer ou à Anouk Grinberg celui de la femme de l’écrivain. Aucun reproche à formuler sur ce plan-là.

Desplechin parvient à éveiller l’intérêt quand, par exemple, il aborde la question de la judéité. Certaines répliques font mouche, comme quand l’écrivain explique à son amante anglaise que, quand on prononce le mot « juif » dans le monde, on le fait généralement en baissant la voix d’un ton, comme si l’on disait un gros mot. Sur la question des femmes, ou plutôt du rapport de l’écrivain avec les femmes, le cinéaste s’amuse, dans une scène onirique, à convoquer l’écrivain devant un tribunal exclusivement féminin qui l’accuse de sexisme et de misogynie. Lors d’une autre scène, Philip Roth essaie de défendre son statut d’écrivain face à sa femme, furieuse d’avoir lu, dans un carnet, des comptes-rendus de dialogues avec une femme dont il prétend qu’elle n’est qu’un personnage fictif.

Ce que je viens d’énumérer à l’instant, ce sont, à mon avis, les scènes les plus séduisantes du film. Le reste et, en particulier, les longs échanges verbaux entre l’écrivain et son amante de Londres, peine à éveiller l’intérêt. Ce qui, à l’écrit, se savourait perd de son agrément à l’écran, au point de devenir presque banal. Même les répliques les mieux rédigées semblent, dans un film, trop « littéraires ». Desplechin a beau se placer sous l’égide de Franz Kafka, se plaisant à filmer son portrait accroché au mur d’un appartement, tout comme de situer quelques scènes (dénuées d’intérêt) dans la ville de Prague, c’est l’ennui qui domine. Même quand ils sont « littéraires », les films trop bavards risquent d’endormir le spectateur.

6/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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