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FRÈRE ET SŒUR

Un film de Arnaud Desplechin.

 

 

Ce n’est pas la première fois qu’Arnaud Desplechin explore les ressorts mystérieux de la haine qui sépare un frère et une sœur. Ce sujet était déjà présent dans Un Conte de Noël en 2008, film dans lequel le réalisateur se gardait d’expliquer le pourquoi de la haine. Y a-t-il d’ailleurs une élucidation possible, une explication simple ? Souvent, les gens qui se détestent ne savent plus très bien déterminer précisément le pourquoi de l’aversion qu’ils éprouvent l’un à l’encontre de l’autre.

Dans Frère et Sœur, à nouveau, donc, ce sujet est abordé et l’on pourrait croire qu’il est l’unique pivot du film (ce qui, je crois, n’est pas tout à fait exact). Toujours est-il qu’il est question, en effet, d’une actrice, Alice (Marion Cotillard), et de son frère écrivain, Louis (Melvil Poupaud) qui, alors qu’ils sont à l’orée de la cinquantaine, se haïssent depuis plus de vingt ans. Si leurs motivations demeurent imprécises (pour nous, spectateurs), toujours est-il que tous deux prennent soin de ne se voir que le moins possible. Quand Alice se risqua à monter jusqu’au seuil de l’appartement de Louis à l’occasion du deuil de celui-ci, qui venait de perdre son fils, ce fut pour être violemment rejetée comme indésirable. Or, voilà qu’une nouvelle épreuve oblige frère et sœur à se rapprocher géographiquement, tout en essayant de ne pas se rencontrer physiquement. En effet, leurs parents, accidentés alors qu’ils s’étaient portés au secours d’une conductrice en détresse, sont hospitalisés dans un état grave, ce qui oblige Louis à quitter la ferme perdue en plein arrière-pays occitan qu’il a entrepris de retaper pour venir au chevet des blessés à Roubaix.

Et voilà le frère et la sœur qui s’ingénient à visiter père et mère à l’hôpital sans se rencontrer. Tous deux rongés par la haine, une haine que Louis étale dans ses écrits, une haine qui les rend malades de jalousie, puisque tous deux ont un peu de notoriété (elle sur la scène, lui grâce à ses livres), une haine qui les fragilise et les rend accros, l’une aux médicaments, l’autre à l’alcool et à la drogue.

Néanmoins, ce thème, que Desplechin explore avec acuité, est contrebalancé fortement par son contraire. Il serait regrettable, je trouve, de ne se focaliser que sur cette haine, certes saisissante, qui divise le frère et la sœur et de ne pas remarquer que le film est gorgé également de son opposé, c’est-à-dire de l’amour. De l’amour, en vérité, il y en a à foison, tout au long de cette œuvre. Chacun des personnages et, en particulier, le frère et la sœur, font preuve, d’une manière ou d’une autre, de leur capacité d’aimer. Distinguons, par exemple, outre l’amour filial que ressentent Alice et Louis pour leurs parents, l’élan qui a poussé ceux-ci à se porter au secours d’une conductrice en danger, ce pourquoi ils ont été eux-mêmes victimes d’un accident, mais également l’amour profond qui semble unir Louis et son épouse Faunia (Golshifteh Farahani) malgré la perte de leur enfant. Et puis, il y a cette étrange et belle histoire, celle de l’amitié qui se noue entre Alice et Lucia (Cosmina Stratan), une jeune femme originaire de Roumanie qui est éperdue d’admiration pour son talent d’actrice (elle est là, chaque soir, aux abords du théâtre où Alice donne sa prestation) et que celle-ci est amenée à aider de façon désintéressée.

Pour conter ses récits de haine et d’amour, Arnaud Desplechin déploie son savoir-faire de cinéaste libre, peu enclin à se contenter d’une mise en scène académique. Au contraire, au risque de déstabiliser quelque peu le spectateur indolent, le cinéaste multiplie les allers et retours temporels, les ruptures de ton, les ellipses. Il s’autorise même une séquence à caractère onirique, un survol de Roubaix par Louis qui plane sur la ville. Les conventions narratives, ce n’est pas ce qui préoccupe Desplechin, ce qui ne l’empêche pas de proposer nombre de scènes qui impressionnent, comme celle où Alice et Louis se heurtent l’un l’autre dans une allée de supermarché. Mais, fidèle à la finesse qui prévaut dans tous ses films, il n’oublie pas de s’appuyer sur notre intelligence de spectateurs : à nous de faire preuve d’un minimum de sagacité !  

8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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