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SACERDOCE

Un film de Damien Boyer.

 

Sacerdoce, précisons-le alors même que ce qui semble peut-être évident pour certains ne devrait pas l’être, est un documentaire sur les prêtres et uniquement sur les prêtres. Autrement dit, ce mot de « sacerdoce », qui donne son titre au film, laisse à penser que le terme n’est attribué qu’à ceux qui ont été ordonnés prêtres, à l’exclusion de toute autre personne dans l’Église. D’emblée, malgré les intentions affichées par un film qui a pour ambition de renouveler et, sans doute aussi, de redorer l’image des prêtres qui s’est fortement dégradée aux yeux de beaucoup, le réalisateur omet (sciemment ou non) de préciser que tous les baptisés partagent un même sacerdoce, quel que soit leur sexe d’ailleurs, et qu’associer ce mot uniquement à ceux qui ont reçu le sacrement de l’Ordre, c’est faire fi du premier sacrement, celui qui fait entrer dans la vie avec le Christ, le baptême. Les prêtres, tout donnés au Christ qu’ils soient ou plutôt qu’ils aiment à le prétendre, ne le sont, en vérité, pas davantage qu’un grand nombre de laïcs baptisés. Parmi elles et eux, nombreux sont celles et ceux qui exercent leur sacerdoce de baptisé(e)s d’une manière ou d’une autre, aussi bien sinon mieux que des prêtres institués.

Mais le film de Damien Boyer, bien que ce réalisateur soit un évangélique, est tout entier imprégné par une intention précise : restaurer l’image du prêtre (celui qui a reçu le sacrement de l’Ordre) au regard du public et, en particulier, de jeunes garçons qui pourraient, par ce biais, se poser la question de leur propre vocation. Ah ! Si ce film avait la capacité d’en amener quelques-uns dans les séminaires ! Pour ce faire, notre réalisateur emploie les grands moyens : il nous a concoctés un film qui a toutes les caractéristiques d’une propagande en due forme en faveur d’une Église (catholique) qui, malgré tous les scandales, n’est pas aussi mal en point qu’on veut bien le dire ! C’est, en tout cas, ce que le film veut laisser croire.

Voyons, voyons… Comment s’y prendre pour susciter du désir chez les jeunes garçons qui, espère-t-on, regarderont ce documentaire ? Eh bien ! Ce n’est pas compliqué ! Montrons l’exact opposé de ce qu’est la réalité de l’Église catholique en France aujourd’hui et de son clergé ! Pour faire bonne mesure, donnons tout de même la parole à un prêtre d’un âge avancé, en le choisissant bien pour qu’il apparaisse comme un homme en bonne santé mais toujours assis (contrairement à ses jeunes confrères qui font du sport) et énonçant, comme un vieux sage obéissant, les paroles formatées qu’on attend de sa part. Mais, surtout, surtout, montrons des prêtres jeunes, dynamiques, sportifs, joyeux et, apparemment (je dis bien : apparemment) atypiques. Choisissons-les parmi la minorité de jeunes prêtres que l’on peut encore trouver ici et là, dans les diocèses, et, bien sûr, faisons en sorte qu’ils surprennent par leurs activités mais tout en tenant un discours qui reste dans la norme, sans aucune aspérité, sans rien qui remette fondamentalement en question la figure du prêtre telle qu’elle s’est forgée au cours des siècles et nous a été transmise, figure qui reste paternaliste, figure d’individu de sexe masculin restant célibataire. Dans le documentaire, aucun des prêtres ne revient sur ces points, aucun ne fait usage d’un esprit critique. Sous-entendu, les prêtres catholiques sont et doivent rester des hommes célibataires.

Nous avons donc affaire à un documentaire nous montrant des prêtres en pleine activité sportive, l’un dévalant une route sur des rollers, l’autre participant à un championnat cycliste de membres du clergé, un autre encore crapahutant avec un groupe de jeunes (garçons uniquement !) dans la montagne. Le réalisateur prend bien soin d’insister sur cet aspect : des prêtres jeunes et d’allure sportive, c’est quand même bien plus attrayant que des prêtres âgés qui s’échinent à célébrer des messes dans des églises quasi désertes, qui continuent à œuvrer comme ils peuvent dans des secteurs paroissiaux qui n’accueillent presque plus d’enfants au catéchisme, qui célèbrent de moins en moins de baptêmes, etc. Mais il s’agit de faire envie, donc de projeter sur l’écran ce qui va bien, ce qui est beau, agréable, exaltant. Et tant pis si le film ne reflète pas la réalité du clergé de notre France ! Peut-on susciter des vocations en faisant état d’un clergé vieillissant et raréfié, des nombreux prêtres, parfois de santé précaire, continuant à exercer un ministère paroissial en dépit de leur fragilité, ou de ceux qui, jeunes ou âgés, n’en peuvent plus, sont fatigués, seuls, dépressifs, etc . ?

Certes, Damien Boyer n’omet pas totalement de rendre compte de la crise des abus sexuels qui secoue l’Église mais, en vérité, il ne fait qu’aborder ce sujet de manière fugitive, sans en prendre la véritable mesure. Même s’il fait entendre, pendant une scène, la parole d’une femme victime d’abus, cela suffit-il à témoigner de l’ampleur du séisme qui ébranle l’Église ? Je ne le crois pas. Les prêtres filmés dans le documentaire s’empressent de donner d’eux-mêmes une image rassurante, même quand ils avouent avoir des tentations ou, pour l’un d’eux, avoir été amoureux. Mais, bien sûr, rassurons vite les jeunes garçons qui verront le film, ils ont trouvé les moyens de surmonter leurs tentations, de les mettre en échec. Le film omet soigneusement de reconnaître que beaucoup de prêtres n’ont pas la force suffisante de respecter la règle du célibat. S’il y en a qui quittent la prêtrise, comme l’admet un des intervenants du film, nombreux sont ceux qui, sans la quitter, entretiennent une liaison plus ou moins secrète avec une femme (ou avec un homme, car n’oublions pas la proportion importante d’homosexuels dans les rangs du clergé). Mais chut ! Il ne faut pas parler de cela. Il ne faut pas questionner la règle du célibat ni envisager que l’on puisse ordonner des femmes ! Aucun des prêtres de ce documentaire ne se risque sur ces terrains-là !

Tout ce qui est dit et montré dans ce documentaire n’est pas à jeter cependant. Il y a, de temps à autre, des paroles sincères et touchantes (et parfois contradictoires, le début du film insinuant que les prêtres sont différents des autres hommes alors qu'à la fin d'autres paroles disent le contraire). Et il y a ce portrait d’un prêtre parti vivre au contact des enfants des bidonvilles de Manille pour les tirer, autant que faire se peut, des griffes de leurs tourmenteurs, abuseurs, prédateurs… Ce prêtre-là ne laisse pas de forcer l’admiration, c’est évident. Il mériterait qu’on consacre à son travail (et à celui de ceux qui oeuvrent avec lui) un film tout entier. Malheureusement, Damien Boyer, tout obsédé de montrer de belles images, en revient sans cesse à son lot de jeunes prêtres enthousiastes (dont le film ne précise jamais à quelles communautés ils se rattachent, au point qu’on se demande s’ils ne se sont pas donnés à eux-mêmes leur mission) et à la médiocrité de sa réalisation, le pompon de la mièvrerie survenant lorsque se fait entendre une voix off récitant une prière sur une image de prêtre à contre-jour sur fond de paysage de montagne, le tout accompagné d'une musique des plus sirupeuses ! Difficile de faire plus maniéré!

5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Documentaires, #Eglise, #Billet d'humeur
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