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ASAKO I § II

Un film de Ryûsuke Hamaguchi.

 

Bien qu’il ait déjà accompli une quinzaine d’années d’activité cinématographique dans son pays, le Japon, ce n’est qu’en mai dernier qu’est apparu en France le nom de Ryûsuke Hamaguchi, à l’occasion de la sortie sur les écrans de « Senses », film de plus de cinq heures mettant en scène le portrait croisé de quatre femmes dont l’une disparait mystérieusement au cours de l’histoire. Aujourd’hui, avec « Asako I § II », c’est du portrait d’une seule femme dont il est question, mais, comme le suggère le titre, d’une femme qui se dédouble ou qui, en tout cas, se présente sous deux aspects dont on ne sait s’ils se complètent ou s’ils s’opposent.

Voilà un film fascinant et troublant, qui n’est pas sans faire songer à « Sueurs froides » (Vertigo – 1958), le chef d’œuvre d’Alfred Hitchcock. Tout comme cette oeuvre était bien davantage qu’un simple film à suspense, le long-métrage d’Hamaguchi dépasse de beaucoup la sorte de bluette romantique à laquelle il s’apparente. Dès le début, nous sommes d’ailleurs invités à entrevoir le caractère énigmatique d’une œuvre qui, petit à petit, donne une sorte de vertige (tiens ! comme dans le film d’Hitchcock !). Asako, en effet, tandis qu’elle visite une exposition de photographies (parmi lesquelles on en remarque une de deux jumelles), est intriguée par un beau jeune homme. Sortie du musée en même temps que lui, elle ne peut s’empêcher de le suivre sans oser l’aborder. Ce sont des enfants qui jouent avec des pétards qui déclenchent la rencontre. « C’est le destin », affirme ensuite le beau jeune homme qui se présente sous le nom de Baku. Aruyo, la copine d’Asako, a beau la mettre en garde, lui affirmant qu’il faut se méfier d’un tel charmeur, la jeune femme s’en est déjà follement éprise. Or Aruyo avait raison, l’idylle ne dure pas longtemps et, un beau matin, le gracieux mais dédaigneux Baku disparaît comme il est venu.

Faut-il à nouveau invoquer le destin ? Deux ans plus tard, à Tokyo, la jeune femme, alors qu’elle livre du café dans un bureau, tombe nez à nez avec le sosie de Baku : un employé qui lui ressemble trait pour trait tout en ayant une tout autre allure, beaucoup plus sage que le précédent. Néanmoins, c’est avec ce nouveau venu, qui se présente sous le nom de Ryohei, que Asako se décide à partager sa vie. Une vie bien plus tranquille et sans doute beaucoup plus paisible que celle qu’elle avait rêvé de mener avec Baku. Tout ne s’arrête pas là cependant car, cinq ans plus tard, voilà que c’est ce dernier qui réapparaît comme si de rien n’était. Entre temps, il est devenu une sorte de mannequin adulé par les femmes. Asako, elle, a de quoi être troublée : entre les sosies, à la fois semblables et très différents, qui choisir ? Qui aimer ?

Les deux Asako, que suggère le titre du film, sont-elles, d’une part, celle qui rêve une vie aventureuse aux côtés de Baku et, d’autre part, celle qui s’adapte docilement à un mode de vie beaucoup plus classique aux côtés de Ryohei ? Le cinéaste se garde de répondre d’une manière simpliste à cette question. Le dédoublement de la personne est sans doute plus complexe et plus intime que cela. Toujours est-il que, de manière très suggestive et très habile, le cinéaste détourne une histoire d’amour qui, même si elle se divise en deux, pourrait paraître presque banale, pour en faire quelque chose de proprement vertigineux. En fait, le film pose une question toute simple mais à laquelle il n’est pas si facile de donner la réponse : qu’est-ce qu’aimer ? Et comment peut-on être sûr d’aimer (ou d’être aimé par) la bonne personne ? Les apparences sont trompeuses, et la perception des choses et des personnes peut beaucoup différer de l’un à l’autre. Comme la rivière que le compagnon d’Asako trouve sale, à la fin du film, et que celle-ci, par contre, trouve belle.  

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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