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LOURDES

Un film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai.

 

 

Lorsque, après être passé par Lourdes en 1891, Émile Zola, saisi par le spectacle de ce qu’il nomme une « cité mystique », a l’idée de se mettre à la rédaction d’une trilogie des « Trois Villes », Lourdes, Rome et Paris, il fait ce qu’il a toujours entrepris pour chacun des romans de la série des « Rougon-Macquart », il séjourne sur les lieux afin d’enquêter sur la réalité qu’il souhaite décrire. En 1892 donc, de retour à la cité mariale, curieux de tout et s’étant bien documenté, il rédige un témoignage non dénué d’intérêt sur le pèlerinage, les malades, les foules ferventes, mais aussi le commerce qui prospère autour du sanctuaire. Cependant, si son enquête journalistique est sérieuse, son regard n’en demeure pas moins altéré par ses à priori de scepticisme. Pour lui, l’arrivée des malades en gare de Lourdes n’est qu’un « défilé affreux ». Il estime que la grotte, la basilique, les piscines et l’hôpital sont « à pleurer de laideur ». Même s’il compatit à la souffrance des malades, il va sans dire qu’il n’accorde aucun crédit aux miracles. Quant à Bernadette, il la considère comme n’étant qu’une « simple d’esprit, très ordinaire ». En somme, en dépit de ses compétences journalistiques, Zola ne voit à Lourdes que ce qu’il y cherche et rien de plus, ce qui lui vaut d’être affublé par Léon Bloy, qui n’y allait pas de main morte, du surnom de « crétin des Pyrénées » !

Tout autre est le regard adopté par les réalisateurs du film sur Lourdes qui vient de sortir en salles. Si Thierry Demaizière et Alban Teurlai ne se déclarent pas davantage croyants que ne le fut Émile Zola et si, comme l’écrivain, ils ont tenu à s’immerger dans la réalité de la cité mariale, y demeurant pendant dix mois, c’est, au bout du compte, pour proposer une tout autre vision de la cité mariale et de celles et ceux qui y vont en pèlerinage. Ce qui frappe d’emblée, quand on voit ce film, c’est la beauté. Là où Zola s’était désolé de ce qu’il estimait être laid, ils ont vu, eux, de la beauté et ils ont su la transmettre par leurs images. Les corps abimés des malades ne sont certes pas occultés, au contraire, et cependant le film parvient à mettre en évidence, à tout instant, autre chose que le constat des difformités physiques qui saute aux yeux. Il émane de la beauté, certes oui, lorsque des femmes et des hommes se mettent en prière, quelle que soit l’apparence.  

Dès la première scène montrant une main, puis plusieurs mains, caressant la pierre de la grotte, la pierre polie par la foule innombrable de ceux qui l’ont touchée, on devine que l’approche des deux réalisateurs n’a rien de banal. Excepté à l’occasion d’un ou deux plans de la fin du film, ils laissent de côté les commerces pour mieux s’imprégner de ce qui se passe à la grotte et à ses alentours. Les hommes et les femmes en prière, prière individuelle, prière de foule, sont filmés avec à la fois du respect et de la bienveillance. Mais si le film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai passionne et bouleverse, c’est parce que tous deux ont opté pour la méthode la plus judicieuse, qui consiste à se polariser sur quelques-uns des nombreux pèlerins de Lourdes.

Quelques-uns parmi tant d’autres, venus prier Marie, dans l’espoir d’un miracle peut-être, mais surtout d’un réconfort et d’un surcroit de force pour mieux affronter les vicissitudes de la vie. Cela passe par le rapport aux corps, omniprésents tout au long du film et pour cause, les malades ayant besoin d’être souvent soignés, manipulés. Et cela passe par les mots simples des prières, dont quelques-unes se font entendre au cours du film. Comment ne pas être touché par un père qui prie pour ses enfants malades, par un homme quasi paralysé du fait de la maladie de Charcot ou par une adolescente qui supplie Marie afin de ne plus avoir à subir les moqueries des jeunes de son âge et dont la prière s’achève en sanglots ? Comment ne pas sourire aussi en entendant une femme pleine de compassion pour la Vierge qui, la pauvre, ne peut pas guérir tous les malades de Lourdes, il y en a beaucoup trop !? Comment ne pas être bouleversés par les prostitué(e)s du Bois de Boulogne et, tout particulièrement, par un travesti à qui le prêtre qui l’accompagne demande d’être servant d’autel ?

On n’en finirait pas d’énumérer toutes les scènes émouvantes de ce superbe film. Peut-être faut-il se mettre tout particulièrement à l’écoute des gens du voyage, des gitans, qui ont installé leurs caravanes aux abords du sanctuaire. Car ce sont eux qui, par excellence, trouvent les mots les plus appropriés pour parler de Lourdes et des foules qui s’y pressent.  Comme le dit l’un des membres de ce groupe, après avoir rappelé avec quelle promptitude on rejette partout les gens du voyage, à Lourdes, auprès de Marie, chaque personne est la bienvenue. La Vierge n’expulse personne. A Lourdes, ajoute-t-il, c’est comme au temps de Jésus. Ceux qui venaient à lui, c’était les pécheurs, les boiteux, les aveugles, les lépreux, les malades de toutes sortes. Et Jésus les accueillait tous. Ceux qui, aujourd’hui, viennent prier Marie à la grotte ne sont pas différents, ce sont les pécheurs et les malades d’aujourd’hui. Marie les accueille tous, quel que soit le poids de leur vie.  Pour ces mots-là et tous ceux qu’ils ont su capter, pour le regard bienveillant, mais jamais empreint de pitié, encore moins voyeuriste, avec lequel ils ont filmé Lourdes et ses pèlerins, il faut, sans nul doute, saluer le mémorable travail accompli par les deux réalisateurs de ce documentaire.  

9/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films, #Documentaires
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