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MARISELA ESCOBEDO : UNE TRAGÉDIE EN TROIS ACTES

Un film de Carlos Pérez Osorio.

 

 

Les faits rapportés dans ce documentaire, diffusé sur Netflix, se sont déroulés entre 2008 et 2010 au Mexique, dans l’Etat de Chihuahua, à Ciudad Juárez, qu’une voix off nous présente d’emblée comme « la ville la plus dangereuse au monde », avant d’expliciter que ce sont les femmes qui y sont particulièrement menacées : être une femme, dans cette ville-là, c’est être condamnée à mourir avant l’heure ! En effet, si le Mexique est l’un des pays qui comptent le plus de féminicides au monde, c’est la ville de Ciudad Juárez qui est la championne, si l’on peut dire, en ce domaine. Le nombre de femmes qui y ont été tuées par leur mari ou leur compagnon, qui ont pris soin, leur forfait accompli, de faire disparaître le corps de manière à ne pas laisser de traces de leur méfait, est si élevé qu’il paraît invraisemblable. Mais il est bel et bien réel, d’autant plus que 97% des crimes de ce genre restent impunis au Mexique. Les présumés coupables sont rarement arrêtés et, quand ils le sont, c’est, la plupart du temps, pour être acquittés par des juges corrompus.

C’est ce que met en évidence le documentaire de Carlos Pérez Osorio, construit comme une tragédie en trois actes, en prenant l’exemple d’une femme qui, par son combat et par son sacrifice, est devenue, pour beaucoup de femmes du Mexique, le symbole de celles qui disent non à la fatalité en demandant que justice soit faite. De nos jours encore, quand des Mexicaines manifestent contre les féminicides, c’est ce nom-là qui est scandé, celui de Marisela Escobedo. Son histoire, exemplaire, tragique, force l’admiration, sauf peut-être de ceux qui détiennent les rênes du pouvoir, de tous les pouvoirs quels qu’ils soient, y compris au plus niveau de l’État, tant la corruption y fait des ravages.

Quand, après la mort de sa fille Rubi, assassinée par son compagnon qui a tenté de dissimuler le corps en le brûlant dans une décharge publique, Marisela Escobedo entreprend son combat pour que le présumé coupable soit arrêté, jugé et condamné, elle est si déterminée qu’elle est déjà prête à se sacrifier elle-même s’il le faut. Pour elle, il est inconcevable que sa fille ne soit plus rien d’autre qu’un numéro dans une statistique macabre. Et il est tout aussi inimaginable qu’un criminel reste en liberté.

Dans un premier temps, elle a de bonnes raisons de croire qu’elle va parvenir à ses fins. Sergio, le supposé assassin, est arrêté et le jugement a lieu. Qui plus est, l’homme passe aux aveux et mène la police à la décharge où il a brûlé le corps de Rubi. Or, malgré cela, coup de théâtre impensable mais réel, les trois juges en charge du dossier acquittent et relâchent Sergio. Pour n’importe qui, il y aurait de quoi baisser les bras de désespoir. Mais pas pour Marisela Escobedo, déterminée à poursuivre le combat, à frapper à toutes les portes, à manifester, à camper devant le palais du gouverneur, jusqu’à ce que justice lui soit rendue. Elle va même jusqu’à défiler dans les rues avec, pour seul vêtement, un chapeau noir et la photo de sa fille enroulée autour de son corps.

Quand la justice annule l’acquittement du meurtrier, c’est malheureusement trop tard, Sergio est non seulement en cavale mais il a rejoint un des groupes les plus criminels du pays, les Zetas. Du coup, Marisela et tous ceux qui, avec elle, réclament justice, sont menacés de mort. Malgré cela, rien ne peut la faire reculer, elle poursuit sa résistance passive en campant devant le palais d’un gouverneur lui-même, très probablement, corrompu. Et le pire survient lorsque, une nuit de décembre 2010, elle est abattue en pleine rue. Quant à Sergio, quelque temps plus tard, il est, à son tour, tué dans un affrontement avec des militaires. Le gouverneur, lui, se frotte les mains, puisque le voilà débarrassé de deux affaires pour le moins gênantes.

L’histoire pourrait être démoralisante, certes, mais elle ne l’est pas, dans la mesure où le courage, la force d’âme et le sacrifice de Marisela Escobedo n’ont pas été vains. Pour beaucoup de Mexicaines, elle est, en effet, le personnage emblématique de leur lutte. Bien des femmes, aujourd’hui, même dans un pays machiste comme le Mexique où l’on éduque les filles dans un esprit de soumission, bien des femmes n’entendent plus se plier aux diktats des hommes. Elles se rebellent et leur combat mérite d’être soutenu par toutes celles et tous ceux pour qui les violences faites aux femmes sont quelque chose de particulièrement intolérable.

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Documentaires
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