Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LE TAMBOUR DE LA MOSKOVA

Une bande dessinée de Simon Spruyt.

 

 

Il faut se rendre à l’évidence, la bande dessinée belge ne se cantonne pas à un style particulier, en l’occurrence la ligne claire qu’Hergé mit à l’honneur et qui fut prise pour modèle par bien d’autres dessinateurs. Mais le temps a passé, de nouveaux créateurs sont apparus, soucieux de proposer d’autres styles graphiques. Ainsi de Simon Spruyt dont les dessins s’éloignent totalement de la ligne claire, lui préférant un style graphique proche des aquarelles, celui-ci évoluant d’ailleurs d’un album à l’autre, au point que son auteur se définit lui-même comme un « ingénieur en bande dessinée belge ».

Rien de mieux, pour apprécier son travail, pour goûter à ses talents non seulement de dessinateur mais de scénariste, que de parcourir les pages de ce nouvel album, Le Tambour de la Moskova. Comme on peut l’imaginer du fait de ce titre, il nous entraîne en 1812, en pleine campagne de Russie. Mais, plutôt que de se focaliser sur Napoléon et les chefs militaires, qu’ils soient français ou russes, c’est la piétaille qui est au cœur du scénario habilement conçu par Simon Spruyt. L’Empereur, on ne l’aperçoit que fugitivement, alors que son visage peut encore arborer un sourire (le principal protagoniste de l’histoire imaginant aussitôt qu’il lui est adressé).

Ce protagoniste en question, c’est celui qui donne son titre à l’album. Il se nomme Vincent Bosse, c’est un jeune garçon à qui, donc, a été confiée la charge de tambour et qu’on voit, dès les premières pages, en pleine action à la bataille de Borodino en 1812, un carnage qui permet aux Français de prendre une redoute. Mais, bientôt, un flash-back nous montre le garçon dans son village de l’Isère, en 1810, se faisant sermonner par le curé pour être arrivé en retard à l’église (il est enfant de chœur). Le curé, en vérité, a des vues sur Vincent, il le verrait bien entrer au séminaire. « L’armée ne convient pas à une âme pure et innocente comme la tienne », dit le curé. C’est pourtant bel et bien sous l’uniforme que se retrouve bientôt le jeune Vincent, choisi aussitôt pour être tambour.

« Une âme pure et innocente », avait dit le curé. Et il aurait pu ajouter : « un joli minois ». Tout le monde se laisse impressionner par l’air candide de ce garçon. Mais faut-il se fier aux apparences ? Bientôt, en effet, le scénariste choisit de montrer le même personnage, mais parvenu à un grand âge, le visage agrémenté d’une longue barbe grise, toujours à Borodino, mais en 1860. Tiens, tiens, se dit-on, voilà qui est curieux, comment se fait-il qu’il ait survécu et soit resté en Russie ?

La réponse à cette énigme fait précisément l’objet de la suite de l’album. On y suit Vincent et d’autres protagonistes parvenant jusqu’à Moscou, l’armée russe s’étant retirée, à la surprise des Français. Mais, comme on le sait, cette apparente déroute n’est que ruse et piège auquel les soldats de l’Empereur se laissent prendre. Tant qu’il s’agit de piller la ville vidée de ses habitants, cela va bien. Mais l’allégresse dure peu, le premier signe de changement survenant avec l’incendie de Moscou. L’Etat-Major peut encore se replier dans une gentilhommière, à quelque distance de la ville, Napoléon peut essayer de remettre de l’ordre dans ses troupes, bientôt l’armée se met à ressembler à un corps démantibulé. Et quand, alors que s’annonce l’hiver, vient l’heure de la retraite, quand les Français surchargent leurs charrettes avec ce qu’ils ont pillé, sonne l’heure de la revanche des Cosaques.

Simon Spruyt évoque tous ces événements avec habileté, sans perdre de vue Vincent et ceux à qui le garçon a affaire au cours de ses tribulations : le tambour-chef Claquebec, mais aussi, du côté russe, le colonel Denis Davidov et Pétia, un garçon dont ce dernier s’est entiché. Avant cela, il y avait eu aussi un français, le caporal Martinet qui, à la suite d’un massacre, avait dit à Vincent, comme pour se justifier : « Personne n’est innocent, Vincent… Sauf toi ! »

Innocent, Vincent ? Vraiment ? Comment donc a-t-il pu échapper à tous les dangers, s’établir en Russie, y trouver une femme, y fonder une famille ? Le Vincent âgé qui raconte son histoire ne se fait pas illusion. En temps de guerre, en vérité, personne ne fait exception et Vincent n’a certes pas de quoi s’enorgueillir. Ce personnage, précisons-le pour finir, Simon Spruyt ne l’a pas inventé de toutes pièces mais l’a trouvé, excusez du peu, chez Tolstoï. Rien de moins que dans Guerre et Paix où quelques pages lui sont consacrées. Elles ont suffi à Simon Spruyt pour concevoir et réaliser ce superbe album.

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Histoire, #Bande dessinée
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :