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THE NIGHTINGALE

Un film de Jennifer Kent.

 

 

D’emblée, il me semble important de prévenir les éventuels spectateurs de ce film, qui, alors qu’il avait été présenté à la Mostra de Venise en 2018 où il avait d’ailleurs obtenu le prix spécial du jury, ne sort chez nous que maintenant (en VOD ainsi qu’en DVD ou Blu-Ray) : il vaut mieux que les âmes sensibles s’abstiennent, comme on dit. En effet, quelques scènes non seulement exposent des situations de violence extrême (viols, massacres et même infanticides), mais parfois sont filmées de manière frontale. Pour moi, c’est la faiblesse la plus évidente de ce film : était-il nécessaire de filmer le visage d’un homme en train d’être défoncé par les coups de crosse d’un fusil ? Je ne le crois pas et, une fois de plus, je me prends à regretter l’âge d’or du cinéma des années 40 ou 50 où les réalisateurs savaient parfaitement suggérer ce genre de scène sans amoindrir en aucune façon ni la force ni l’impact de leur propos. Malheureusement, aujourd’hui, beaucoup de réalisateurs et réalisatrices se croient tenus de malmener les spectateurs au moyen de séquences insoutenables. Elles provoquent le malaise sans rien apporter d’essentiel. Pourquoi ne fait-on pas davantage confiance aux capacités de compréhension des spectateurs ?

Cela étant dit, ce film ne manque pas de qualités, à commencer par son cadre (la Tasmanie) et par la page d’histoire, très méconnue, à laquelle il se réfère : la guerre menée par les colons anglais contre les aborigènes au XIXème siècle. Dans la longue et épouvantable liste des méfaits commis au nom de la colonisation, voici une page particulièrement éprouvante (et qui explique bien sûr, les atrocités montrées à l’écran par Jennifer Kent, même si, encore une fois, je récuse sa manière de faire). Nous sommes, très précisément, en 1825, sur une île où l’on a déporté des bagnards, où sont venus s’installer des colons et que les soldats débarrassent des populations autochtones. C’est un génocide qui est en cours de réalisation. Parmi ceux qui peuplent cette île, deux personnages se détachent : Clare Carroll (Aisling Franciosi), une immigrée irlandaise qui, après avoir fait de la prison, s’est trouvée un mari et a donné naissance à un enfant ; Hawkins, un lieutenant britannique s’apprêtant à devenir capitaine, qui, sexuellement frustré, a, pour son malheur, jeté son dévolu sur Clare. Un soir, après l’avoir fait chanter dans une taverne (d’où son surnom de Nightingale (Rossignol)), il la rejoint avec des comparses aussi éméchés que lui, la roue de coups, la viole, tue son époux ainsi que son bébé.

La suite du film se présente donc sous la forme de ce qu’on nomme « rape and revenge ». Clare, au sortir de sa terrifiante épreuve, n’a plus qu’un but : se venger de ceux qui ont détruit sa vie. Or, pour ce faire, elle est obligée de les prendre en chasse à travers l’île, Hawkins devant en effet se rendre dans une autre ville pour y être fait capitaine. Pour Clare, traverser la Tasmanie, territoire encore sauvage, à la nature luxuriante, ne peut se faire qu’avec un guide, un pisteur, connaissant parfaitement le terrain. Or, seul un aborigène peut remplir cet office. C’est donc un autochtone du nom de Billy (Baykali Ganambarr) qui accepte de l’accompagner dans ce périple aventureux. Or c’est précisément grâce à ce procédé de scénario que le film échappe à la routine. S’il n’était question que d’une histoire de vengeance, ce serait en somme banal. Mais cette obligation de proximité et de collaboration entre un aborigène et une femme blanche éveille aussitôt l’intérêt, un intérêt qui ne faiblit jamais. Car, au fil des événements, la relation entre Clare et Billy évolue. Les regards changent, la méfiance, voire la répulsion du début, fait place, petit à petit, à l’estime et même à la complicité. Apprenant à se connaître l’un l’autre, ils se découvrent des points communs. Entre l’aborigène méprisé par les colons anglais et l’irlandaise persécutée par les britanniques, la distance n’est pas si grande. Et l’on peut s’associer dans un combat commun. Plus encore, on peut reconnaître à l’autre des qualités qu’au départ on ne soupçonnait pas. C’est d’avantage qu’un simple respect mutuel.

On saura gré, enfin, à la réalisatrice, d’être parvenue à ne pas faire un film totalement manichéen qui mettrait en scène, d’un côté, les méchants colons blancs et, de l’autre, les pauvres peuples opprimés et massacrés. Même du côté des colons, il peut se trouver des hommes justes qui désapprouvent les violences commises sur l’île : l’un d’eux en donne la preuve en venant en aide à Clare et Billy. Quant aux aborigènes, lors d’une discussion avec la jeune irlandaise, Billy reconnaît que, chez eux aussi, il y a des hommes qui prennent des mauvais chemins et qui font le mal. Ce n’est pas l’exclusivité des anglais !

7,5/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films, #Aventures
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