Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

BENEDETTA

Un film de Paul Verhoeven.

 

 

« On ne voit bien le mal de ce monde qu’à condition de l’exagérer ». Cette citation, extraite du Journal de Léon Bloy (1846-1917), convient au style adopté, dans un certain nombre de ses films, par Paul Verhoeven, cinéaste, volontiers provocateur, réputé pour ne pas faire dans la dentelle. Dans Benedetta, son nouveau film, les outrances ne manquent pas, certaines d’entre elles flirtant avec la limite du risible. Néanmoins, faut-il dire malgré ou à cause de ses exagérations, le propos du cinéaste reste constamment, non seulement intéressant, mais judicieux. Qui plus est, par certains de ses aspects, même s’il s’agit d’un film qui se base sur des faits historiques, on peut dire que c’est nous qu’il interpelle, je veux dire « nous, membres de l’Église catholique du début du XXIème siècle ». Que l’on songe aux nombreux cas d’abus de pouvoir ou d’abus d’autorité dont se sont rendus coupables, manifestement, des clercs et, en particulier des fondateurs de communautés nouvelles, durant le siècle dernier, c’est-à-dire hier.

Paul Verhoeven, lui, a estimé que l’histoire bien réelle de Benedetta Carlini (1591-1661) était, si l’on peut dire, du pain bénit pour servir son propos en mettant l’accent sur les dérives du système religieux tel qu’il a pris forme dans l’Église catholique. Pour ce faire, il a pu se fonder sur les travaux effectués par l’historienne Judith C. Brown dans son livre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, ouvrage paru en France en 1987. C’est sur cette assise solide que le cinéaste a pu laisser libre cours à son style, un style excessif mais d’autant plus efficace.

Le scénario conçu pour relater l’affaire de sœur Benedetta ne manque pas de complexité. Il aborde plusieurs thèmes qui s’entrecroisent et il serait dommage de se focaliser uniquement sur la question du lesbianisme, qui donne lieu, comme on le sait, puisque les commentaires à ce sujet vont bon train, à une scène particulièrement transgressive. Je reviendrai sur ce point, mais, au préalable, il faut considérer, je le crois, ce qui constitue la racine même du mal dans le parcours de Benedetta, un mal qui n’a rien à voir avec le lesbianisme. L’iniquité initiale, celle qui déploie ses maléfices au long du film, a à voir, d’une part avec une imagerie pieuse inculquée depuis la plus tendre enfance, d’autre part avec l’abus de pouvoir ou d’autorité, tout particulièrement patriarcal. Sous-jacent à tout ce film, on perçoit les ravages opérés par un système, en l’occurrence celui de l’Église catholique, système qui vise, entre autres, à mettre les femmes au pas, à les faire entrer dans l’obéissance, ce qui signifie, dans ce cas précis, la soumission. On se méfie des femmes (et on s’en méfie toujours aujourd’hui, manifestement). Pis que tout, à l’époque où se situe l’action du film, on allait jusqu’à placer au couvent des enfants. Les scènes introductives de Benedetta en font état : on y voit les parents, tout fiers d’amener leur fillette de neuf ans au couvent des théatines de Pescia, en Toscane. En outre, l’enfant est littéralement vendue, marchandée avec Mère Felicita (Charlotte Rampling), la mère abbesse au comportement de maquignon. Un peu plus tard, quand survient Bartolomea (Daphné Patakia) et qu’il faut délibérer au sujet de son entrée dans la vie conventuelle, l’abbesse l’affirme sans détours : « Ici, ce n’est pas une maison de charité. Il faut payer pour y entrer ! ». De plus, autre versant du mal endémique qui parcourt tout le film, on met dans la tête de la fillette qui entre en religion qu’elle va devenir l’épouse du Christ et on la farcit d’images pieuses absurdement naïves. D’ailleurs, l’argent que le père verse au couvent, c’est l’argent de la dot. Entrer en religion, c’est se marier avec le Christ !

Partant de là, l’on comprend une grande partie des enchaînements et des rouages qui paraissent successivement à l’écran. N’y a-t-il pas, dans le processus même de l’entrée dans la vie religieuse, de quoi tourner la tête de l’intéressée ? Dans le cas de Benedetta (superbement jouée par Virginie Efira), c’est flagrant. Tout imprégnée de l’imagerie sulpicienne dont on lui a truffé le cerveau, elle se met à prétendre faire des miracles et voir Jésus, ce qui lui donne bientôt une réputation de sainteté. Verhoeven n’y va pas de main morte pour représenter ces scènes-là. L’une d’elles, impressionnante et dérangeante, nous fait voir l’épouse du Christ dénudant celui-ci sur la croix, découvrant un sexe féminin ( !), se collant à lui (à elle !) et recevant les stigmates !

En vérité, le personnage de Benedetta utilise les représentations de la religion, telles qu’on les lui a inculquées, pour parvenir à ses fins, celles du pouvoir, en même temps qu’elle voudrait assouvir ses désirs et ses pulsions de femme sexuée. Elle est ambiguë, trouble, rouée, maline, obstinée, au point d’être nommée abbesse à la place de Felicita. En somme, elle s’est parfaitement coulée dans un système ecclésial qui donne du pouvoir aux uns (ou aux unes à l’intérieur du couvent) pour mieux entretenir la soumission des autres. Une des religieuses, sœur Christina (Louise Chevillotte), perçoit clairement la duplicité et les mensonges de Benedetta. Elle ose même les dénoncer mais pour, en fin de compte, payer son audace au prix fort.

Face aux errements et aux maux dont il vient d’être question, les amours saphiques entre Benedetta et Bartolomea paraissent anodins ou, en tout cas, ils s’expliquent aisément par le contexte même dans lequel évoluent des religieuses placées au couvent sans avoir du tout la vocation, même si elles peuvent s’illusionner à ce sujet. On se demande d’ailleurs pourquoi il n’y a pas eu davantage de cas de lesbianisme dans les couvents au cours de l’histoire (mais peut-être y en a-t-il eu, qui sont restés assez discrets pour ne pas donner lieu à des mesures canoniques ?). Bien sûr, en mettant en scène les étreintes passionnées des deux religieuses, Verhoeven ne s’est pas privé d’introduire un élément blasphématoire. Mais, en vérité, il n’y a pas là de quoi se récrier d’indignation. Les actes sexuels consentis n’ont rien d’anti-chrétiens, même pas quand ils sont le fait de deux sœurs. Si l’on veut s’indigner de quelque chose, ce sont les abus de pouvoir qu’il faut désigner et non pas les amours lesbiennes de deux religieuses dont je répète qu’elles n’avaient manifestement pas la vocation. D’ailleurs, cette absence de vocation concernait plus d’une autre sœur, y compris Felicita qui, bien qu’ayant été abbesse, n’avait probablement pas la foi, comme le lui fait remarquer Benedetta : « Tu as servi Dieu toute ta vie sans avoir la foi », lui dit-elle.

Verhoeven, remarquons-le pour finir, sait tirer parti de tous les événements, à une époque où, pour la plupart des gens, tout fait signe. Une comète qui semble s’être immobilisée dans le ciel, la peste qui provoque des ravages aux alentours de Pescia, tout est prétexte à enrichir le scénario, à l’infléchir aussi en introduisant des retournements de situation. Encore une fois, je le répète, même si l’on a affaire à de l’outrance dans la mise en scène, cela reste toujours sacrément efficace. Le point d’orgue revient aux scènes de la fin du film, celles qui font intervenir le nonce (Lambert Wilson), personnage haut en couleurs venu enquêter à Pescia sur l’affaire des religieuses lesbiennes. À nouveau, c’est le système patriarcal de l’Église catholique qui est mis en avant. Cela étant, Verhoeven prend un malin plaisir à lui donner du fil à retordre, à ce nonce. Il a beau employer les méthodes les plus radicales, y compris la torture, il ne perd rien pour attendre, un mal le ronge, qui n’est pas seulement spirituel mais physique. Et, pour finir, il fait les frais de sa propre intransigeance.

Mais, chut !, n’entrons pas trop dans les détails ! Point besoin d’en dire davantage, d’ailleurs,  sinon que Benedetta, en fin de compte, « formatée » comme elle l’a été depuis sa tendre enfance, ne peut imaginer pour elle d’autre destinée que de rester entre les murs du couvent. Ce fut, sans doute, le lot commun de beaucoup d’autres religieux et religieuses, portant l’habit jusqu’à la fin de leurs jours sans avoir de vocation réelle.

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame, #Histoire
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :