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ATARRABI ET MIKELATS

Un film de Eugène Green.

 

 

Inclassable, volontiers hors des sentiers battus, ne serait-ce que par le jeu figé qu’il impose, de film en film, aux interprètes de ses films, Eugène Green se distingue à nouveau avec cette adaptation d’un mythe de la culture basque. Lui qui est américain d’origine, mais qui s’est entiché, depuis longtemps de la France et, plus généralement, de l’Europe (la plupart de ses films sont en français), le voilà qui veut témoigner aujourd’hui de son attachement pour la langue et la culture du Pays basque. Pour ce faire, il n’a rien trouvé de mieux que de s’approprier un mythe propre à ce territoire.

Curieux mythe d’ailleurs puisqu’il fait des emprunts autant au paganisme qu’au christianisme, ce qui s’explique sans doute par la christianisation très tardive des Basques (vers le XVIème siècle). On comprend, dès lors, que, même devenus chrétiens, leur vénération des divinités païennes ne pouvait cesser d’un seul coup.

C’est frappant dans le film d’Eugène Green puisque l’on a affaire, dès le début, à Mari, celle que les Basques considèrent comme la déesse-mère de leur mythologie. Or, s’étant unie à un mortel, voilà qu’elle met au monde des jumeaux : Atarrabi et Mikelats. Après les avoir élevés pendant quelques années, elle estime ne pas pouvoir les garder avec elle et, de ce fait, les confie aux bons soins (si l’on peut dire) du diable en personne (qui, évidemment, s’en réjouit et compte bien en faire ses dévoués serviteurs). Cependant, même chez les diables, quand on est le fruit d’une union entre une déesse et un mortel, la liberté ne peut être totalement bafouée. Devenus de jeunes adultes, chacun des jumeaux doit choisir : rester fidèle au diable (et, même, si on lui fait allégeance, devenir immortel) ou partir (et rester un simple mortel). Atarrabi décide de s’en aller, Mikelats fait le choix de rester.

La suite du film nous montre les destinées respectives de chacun des deux frères, et peut-être davantage d’Atarrabi que de Mikelats. Car c’est, bien évidemment, celui qui part qui suscite l’intérêt, bien plus que celui qui se trouve chez lui dans l’antre des diables. Atarrabi, lui, fait toutes sortes de rencontres (certains des personnages dont il croise le chemin étant d’ailleurs, comme Mari, issus de la mythologie païenne). Mais son errance le mène aux portes d’un couvent où il demande à entrer. Il y restera, en effet, mais sans être accepté à prononcer des vœux de religieux, car (étrange singularité qui paraît suspecte aux yeux du père abbé) il est privé d’ombre. Or si un homme n’a pas d’ombre (croit-on), c’est qu’il est privé de lumière. En vérité, sans entrer dans tous les détails ni dévoiler toute la beauté des rencontres faites par Atarrabi (en particulier avec une jeune femme dont il s’éprend), c’est le cœur même du jeune homme qui est habité de lumière et de pureté.

Il valait bien la peine de faire un film avec ce mythe qui, me semble-t-il, ne manque pas d’intérêt. Malheureusement, on peut estimer assez peu judicieux certains choix de mise en scène d’Eugène Green. C’est vrai surtout quand on a affaire aux diables reclus dans leur antre (qui ressemble à une boite de nuit) et tout habillés de rouge. N’y avait-t-il pas moyen de se passer de ces clichés ? Certaines scènes n’échappent pas au ridicule ou à la cocasserie : entendre le diable, surpris avec un casque sur les oreilles, expliquer, très sérieusement, qu’il raffole du rap, cela vaut son pesant de cacahuètes ! Heureusement, par ailleurs, de nombreuses autres scènes du film sont très belles : scène de danse, scènes se déroulant au monastère, scènes mettant en présence Atarrabi et la jeune femme dont il est épris, etc. Reste néanmoins une difficulté propre à tous les films d’Eugène Green : le comportement hiératique des personnages, leur style déclamatoire. Dans d’autres films de ce cinéaste, des films en français ou en italien, et je pense surtout à La Sapienza (2014), son chef d’œuvre, cela passait mieux, c’était même agréable, mais ici, en langue basque, cela s’avère lassant et, par moments, soporifique…   

6,5/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Mythe
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