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ILLUSIONS PERDUES

Un film de Xavier Giannoli.

 

 

De l’encre qui ruisselle en rigoles sur du papier : l’image apparaît, de manière récurrente, au cours du film, avec, pour finir, une variante, l’encre étant, cette fois, projetée sur une affiche placardée sur un mur. L’image dit bien le propos du film. Le papier et l’encre qui, idéalement, devrait être utilisés uniquement pour des visées sinon glorieuses, en tout cas honorables, servent désormais surtout à imprimer des journaux à sensation. Honoré de Balzac ne s’y était pas trompé, il savait de quoi il parlait et il avait bien perçu ce qui commençait de poindre et ne cesserait, dès lors, de s’amplifier. Ce sont les journalistes et autres gens de plume qui font désormais la pluie et le beau temps dans tous les domaines, leur unique souci n’étant pas de repérer des talents mais de faire vendre des journaux qui rapporteront donc des dividendes à leurs actionnaires. Il faut vendre, un point c’est tout, et pour vendre, rien de tel que de surprendre les lecteurs avec de l’inattendu ou du sensationnel. Or le mieux, pour y réussir, ce n’est pas de défendre ni de louer des œuvres, quelles qu’elles soient, mais bien plutôt de trouver des moyens de les railler. Les lecteurs ne raffolent-ils pas des jeux de mots assassins, des calembours et autres trouvailles qui font rire aux dépens des auteurs et des créateurs ? Et s’il faut inventer de fausses nouvelles (eh oui, les fake news, ça ne date pas d’aujourd’hui) pour mieux faire vendre du papier et de l’encre, qu’importe, les journalistes ne s’embarrassent pas de tels scrupules !

En adaptant le chef d’œuvre de Balzac, c’est donc cet aspect, qui offre de multiples résonances avec notre époque, que Xavier Giannoli a choisi de souligner, montrant ainsi combien le romancier avait finement pressenti certaines caractéristiques des temps modernes. Quand Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin), jeune idéaliste venu d’Angoulême, se retrouve jeté dans la faune parisienne pour y avoir suivi une femme de la noblesse de province (Cécile de France) dont il est épris, il n’est qu’un médiocre poète (auteur d’une plaquette au titre champêtre et naïf, Les Marguerites) rêvant de gloire.  Bientôt livré à lui-même, il ne tarde pas à faire la rencontre de celui qui, en quelque sorte, va le déniaiser pour en faire son épigone, un journaliste comme lui, aussi dénué de conscience que lui, Etienne Lousteau (Vincent Lacoste, excellent). Dans cette jungle parisienne dont il fait désormais partie, le jeune provincial apprend son nouveau métier au contact de directeurs de journaux, le plus emblématique d’entre eux étant Finot (Louis-Do de Lencquesaing), l’un des personnages les plus fourbes de La Comédie Humaine, d’éditeurs (Dauriat, joué par Gérard Depardieu), de gens de théâtre, etc. On n’oubliera pas Singali (Jean-François Stévenin), celui se charge de faire applaudir ou, au contraire, de faire huer les spectacles, en se fondant uniquement sur les pots-de-vin qui lui sont versés : c’est celui qui verse la plus grosse somme qui l’emporte ! Voilà sur quoi se fondent les succès ou les échecs des représentations théâtrales, les journalistes se délectant d’avance d’en rajouter une couche, surtout quand la pièce a été copieusement sifflée.

C’est donc la noirceur de tout ce petit monde parisien qu’a voulu faire ressortir Xavier Giannoli. La mise en scène accentue encore cet aspect : ainsi quand Lucien de Rubempré apparaît fumant le cigare et riant à gorge déployée au-dessus d’une table qui semble rouler sous lui : une scène qui plairait peut-être au Martin Scorsese du Loup de Wall Street (2013). Cependant, le réalisateur a pris soin d’atténuer quelque peu ce tableau si sombre, grâce à l’un des personnages, une femme, une comédienne, la seule dans tout le film dont on peut dire qu’elle garde le cœur pur. Elle se prénomme Coralie et est superbement interprétée par une nouvelle venue au cinéma, Salomé Dewaels, véritable révélation de ce film. Eprise de Lucien de Rubempré, elle se prête certes un peu à son jeu et à ses folles ambitions, mais sans jamais perdre son âme. Oui, il y a de la pureté de cœur chez elle, même dans le cloaque parisien où elle essaie d’affirmer son talent jusqu’à jouer Bérénice dans la pièce de Racine, pureté qu’elle finit d’ailleurs par payer au prix fort. Y a-t-il une place pour quelqu’un comme elle dans ce monde-là ? Rien n’est moins sûr.

Pour ce qui concerne les choix de mise en scène de Xavier Giannoli, il me faut exprimer un regret. Je trouve fâcheuse et, le plus souvent, inutile, la voix off explicative qui intervient, tout au long du film, pour nous commenter le déroulement des événements. Ne sommes-nous pas assez intelligents, nous les spectateurs, pour comprendre sans secours ce que nous avons sous les yeux ? J’ai déjà écrit bien des fois que ma préférence va aux films qui laissent de l’espace aux spectateurs. Cet espace manque ici. Cela étant, ce défaut est tout de même compensé par beaucoup de qualités : excellentes prestations des actrices et acteurs, perfection des décors, belle photographie et, surtout, sagacité du propos. Balzac, décidément, demeure un auteur « actuel ». 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Comédie dramatique
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