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MEMORY BOX

Un film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.

 

Memory Box est un film qu’on peut dire miraculé. Le couple de réalisateurs libanais qui le sort aujourd’hui sur nos écrans en a, en effet, tourné les dernières scènes juste avant l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth qui a causé la mort de plus de 200 personnes, en a blessé 6500 et a détruit des quartiers de la capitale libanaise. Les deux artistes, entre autres photographes et sculpteurs, dont les œuvres sont exposées dans le monde entier, ont, en outre, perdu, dans l’explosion une bonne partie de celles-ci. Elles étaient stockées près du port et ont été détruites. Ajoutons à cela la crise sanitaire qui frappe le Liban comme tous les pays du monde. Fort heureusement, les deux cinéastes ont néanmoins réussi à mener à terme leur film, à le monter, à le distribuer sur les écrans.

Or, le plus surprenant, c’est que le contenu même du film fait précisément écho à l’explosion du 4 août 2020, mais en remontant plus loin dans le temps, au début des années 1980, alors que la guerre civile faisait rage à Beyrouth. Ces années-là sont évoquées tout au long du film à cause de l’irrépressible curiosité d’Alex (Paloma Vauthier), une jeune fille d’origine libanaise habitant à Montréal avec sa mère Maia (Rim Turki) et sa grand-mère. Arrive, en effet, un jour, un colis volumineux expédié de Beyrouth, rempli de cahiers, de cassettes et de photos qui témoignent de ce passé enfoui dont Alex n’a jamais entendu parler, ni de la bouche de sa mère ni de celle de sa grand-mère. Face à ces souvenirs d’une époque douloureuse (celle de la guerre civile au Liban, bien sûr), les réactions des deux femmes sont identiques : elles préfèrent ne pas en parler. Quant au colis encombrant, Maia s’empresse de le ranger pour ne pas raviver les souffrances du temps passé.

Mais, pour Alex, la tentation est trop grande. Comment pourrait-elle résister à l’envie d’en savoir davantage sur le passé de sa mère ? Il y a là, à portée de mains, des trésors : une multitude de cahiers remplis de notes, de photos ; des enregistrements sur cassettes ; etc. Et la jeune fille découvre tout un pan d’histoire dont elle ne savait pas grand-chose : la guerre et ses horreurs, mais aussi, malgré tout, les aspirations des jeunes gens de ce temps-là, leurs rires et leurs danses pendant les accalmies, avant que ne ressurgissent la peur et les bombardements ; et l’amitié qui lie sa mère Maia (jouée par Manal Issa à cette époque des années 80) à d’autres jeunes gens, l’amour qu’elle éprouve pour un garçon, mais un garçon qui veut prendre part aux combats ; et les difficultés et les épreuves que subissent les parents de Maia.

Pour évoquer ce passé, plutôt que de simplement le reconstituer, les réalisateurs se sont appuyés sur des clichés réellement pris, à cette époque-là, par Khalil Joreige. Ils ont réussi, au moyen de montages ingénieux, de techniques d’animation, de scènes inventives, à donner corps, en quelque sorte, à tout ce passé, encore si douloureusement présent dans la mémoire de nombreux Libanais. Le film, remarquablement construit pour tout ce qui concerne cette période de la guerre civile, propose aussi, en fin de compte, une évolution des rapports entre mère et fille (car, bien sûr, arrive le moment où Maia découvre qu’Alex n’a pas pu s’empêcher de consulter ses cahiers et ses cassettes du temps passé). Néanmoins, à partir de là, c’est l’apaisement qui l’emporte sur tout le reste. Tout s’achève même par un vrai bonheur, le temps d’une scène de retrouvailles. Les réalisateurs se sont demandé s’il fallait conserver cette fin optimiste (alors que venait d’avoir lieu l’explosion du port de Beyrouth). Ils ont préféré, néanmoins, la garder. Comme pour signifier l’espoir envers et contre tout.  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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