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TWIST À BAMAKO

Un film de Robert Guédiguian.

 

 

La révolution socialiste peut-elle s’accommoder de l’esprit de fête ou doit-elle nécessairement se prendre tellement au sérieux qu’elle engendre automatiquement la sévérité et le rigorisme ? Pour Robert Guédiguian, pas de doute, c’est la première option qui est la bonne et c’est celle dont il a retrouvé l’existence dans une série de clichés pris par Malick Sidibé au Mali au début des années 1960 alors que se mettait en place le régime socialiste de Modibo Keïta, le premier président d’un pays indépendant, libéré de la tutelle colonialiste française. Sur certaines des photographies prises à cette époque, l’on voit des jeunes gens se trémousser sur des pistes de danse, dans des clubs, et l’on peut deviner sans peine que la musique qui les mettait en joie provenait de France ou des États-Unis. Le twist, donc. La contradiction n’est qu’apparente : se libérer du joug colonialiste, ce n’est pas nécessairement se priver d’une musique qui, en tant que telle, est dénuée de couleur politique. « Tout le mouvement ouvrier, explique Guédiguian, les socialistes, les communistes, le mouvement syndical, ont péché par manque du sens de la fête, du spectacle et du rire » avant d’ajouter : « le twist, c’est extrêmement efficace pour remporter une victoire idéologique ».

Place à la fête, donc, mais aussi, bien sûr, à la mise en place de la collectivisation, d’une plus juste répartition des richesses et de conditions de travail respectueuses des personnes. La tâche est colossale et, pour la mener à bien, il faut des militants zélés, prêts à se rendre même dans les coins les plus reculés du pays pour convaincre et aider au changement. Le film de Guédiguian, précisément, se donne pour objectif d’accompagner l’un d’eux, Samba (Stéphane Bak), fils d’un riche commerçant, tout entier investi dans l’idéal révolutionnaire, quitte à déplaire à son père. Pas seulement à ce dernier, d’ailleurs, car le rêve d’une société meilleure se heurte à de multiples obstacles.

Il y a, chez Samba, une dimension utopique dont le jeune homme est parfaitement conscient. Il dit lui-même qu’il marche en rêvant. Et puis, alors qu’il est venu expliquer les vertus du socialisme dans un village reculé du pays bambara, a lieu une rencontre qui donne à sa vie et à ses combats une couleur nouvelle, la rencontre avec Lara (Alicia Da Luz Gomes), une jeune fille que son père a mariée de force avec un homme dont elle ne veut pas. Pour Samba, c’est un coup de foudre qui le conduit à aider Lara à s’enfuir. C’est avec elle, à Bamako, qu’il se met à fréquenter les clubs où l’on danse, tout en prenant conscience que la révolution ne doit pas se limiter dans ses ambitions. Elle doit aussi pouvoir proposer un chemin de libération pour les femmes, ce qui est loin d’aller de soi dans un pays aux traditions ancestrales bien ancrées.  

Un amour menacé, le combat pour l’instauration du socialisme, la fête et la danse, Guédiguian filme avec empathie tous ces sujets entremêlés. Mêmes les scènes les plus didactiques du film ne l’empêchent nullement d’être captivant. Il faut préciser que les deux acteurs principaux, comme tout le casting d’ailleurs, font merveille. Difficile de ne pas ressentir avec intensité les espoirs et les déceptions de Samba qui voit ses rêves de révolution mis à mal par ceux-là mêmes qui devraient les défendre. Difficile de ne pas partager, sans réserve, les combats pour une vie meilleure, en particulier pour les femmes, que mènent avec détermination Lara et Samba. Et, face à tous ces rêves, difficile de ne pas songer à ce qu’est le Mali d’aujourd’hui, si éloigné de l’utopie de Samba.

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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