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L’HISTOIRE DE MA FEMME

Un film de Ildikó Enyedi.

 

 

Tout commence par un de ces stupides paris dont sont parfois capables les hommes, y compris ceux qui semblent les plus sensés. Capitaine au long cours, le néerlandais Jakob Störr (Gijs Naber), s’il n’est pas précisément une tête brûlée, n’en annonce pas moins à Kodor (Sergio Rubini), l’homme avec qui il est attablé dans un bar, qu’il épousera la première femme qui en franchira la porte. Et c’est ainsi que, peu après, Jakob fait la connaissance d’une femme mystérieuse et belle, une Française prénommée Lizzy (Léa Seydoux). C’est peu de dire que, dès lors, sa vie bascule car, en effet, il n’a pas besoin de faire longtemps sa cour pour qu’elle accepte de devenir son épouse. Épouse d’un marin, ce n’est pourtant pas un sort très enviable. Et puis, ces deux-là sont assortis autant que le seraient un chat et un chien ! Lui se plaît à naviguer en haute mer, c’est là son domaine de prédilection, alors qu’elle aime la ville, les mondanités, la culture…

C’est un roman de son compatriote hongrois Milán Füst que la cinéaste Ildikó Enyedi a entrepris d’adapter, réalisant, pour ce faire, un film-fleuve d’une durée de 2 heures 50. Découpé en 7 chapitres, comme dans un roman précisément, le film explore avec minutie les rapports complexes des deux époux. Il faut admettre néanmoins, je crois, que la durée de ce long-métrage est excessive et l’on ne s’étonnera pas d’être sujet à quelques baisses d’attention en cours de projection. Malgré cela, malgré sa longueur, malgré les ellipses temporelles que s’autorise la réalisatrice, le film mérite amplement le déplacement, le soin apporté à la direction d’acteurs, aux cadrages, à l’emploi judicieux des moments musicaux, etc., compensant ses quelques défauts.

Il me semble, d’ailleurs, que le titre ne convient pas tout à fait au contenu du film, sauf dans l’emploi de l’adjectif possessif « ma », car c’est bien l’une de ses problématiques que de mettre en question le besoin éprouvé par l’homme de posséder celle dont il est l’époux, d’en être le propriétaire. Cela étant, plutôt que de narrer l’histoire de la femme de Jakob, ce sont les doutes de ce dernier qui font l’objet du récit. Le film raconte l’histoire d’un homme qui doute de l’honnêteté et de la fidélité de son épouse. « Honnêteté », c’est précisément le mot qu’emploie Lizzy pour désigner Jakob. Lui est un homme honnête, foncièrement honnête, mais elle ? Que fait-elle avec Dedin (Louis Garrel), cet homme qu’elle fréquente volontiers, pendant que Jakob navigue sur les océans ?

On ne reprochera pas à Ildikó Enyedi de se focaliser sur ce qu’on se plaît désormais à appeler « male gaze » (en opposition à « female gaze »), le regard masculin habité, hanté par la crainte de l’adultère. Il n’y a aucune raison, pour une cinéaste, de ne pas traiter son sujet de ce point de vue, pas plus qu’il ne serait offensant, pour un réalisateur, d’adopter le point de vue d’un regard féminin. À mon avis, ces antagonismes n’ont pas lieu d’être. Seule compte la qualité de la réalisation et elle est ici au rendez-vous, malgré le défaut de la durée excessive. Le film n’est ni aussi précieux ni aussi académique que le prétendent certains critiques. Et quand guette la lassitude, la réalisatrice parvient toujours à faire ressurgir l’attention au moyen d’une scène inventive ou en introduisant de la musique. Ainsi, quand, au cœur du film, la cinéaste filme à distance Jakob et Lizzy faisant l’amour pendant que résonne à nos oreilles la splendeur de quelques mesures d’une symphonie d’Anton Bruckner. C’est un des sommets de cette œuvre.  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

 

Tag(s) : #Films
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