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LA NUIT DU 12

Un film de Dominik Moll.

 

 

Nous en sommes avertis dès le début par un incipit : sur les quelques 800 affaires criminelles qui incombent à la PJ chaque année, en France, 20% demeurent irrésolues. Et celle que reconstitue Dominik Moll, en s’inspirant d’un livre très documenté de Pauline Guéna (18.3 Une Année à la PJ), fait partie de ce pourcentage. Dès lors, nous savons que nous n’aurons pas affaire à un banal film à suspense avec, à la clé, la résolution d’une enquête par la désignation et l’arrestation d’un coupable. Des suspects, il n’en manquera pas cependant : nous en verrons plus d’un tout au long du film, mais, pour aucun d’entre eux, il ne pourra être établi de preuve de culpabilité. Le comble, comme le dira un des enquêteurs, c’est que chacun d’entre eux aurait pu le faire, avait le profil qui convenait pour commettre le crime atroce de « la nuit du 12 ». En chacun d’eux, en effet, l’on pouvait, de manière évidente, détecter une sorte de mépris viscéral, sinon de haine, non seulement pour la victime, mais peut-être pour les femmes en général.

Car, ce qui s’est passé la nuit du 12 octobre à Saint-Jean-de-Maurienne, près de Grenoble, c’est un crime particulièrement atroce : l’assassinat d’une jeune femme de 21 ans, arrosée d’essence et brûlée vive, alors qu’elle venait de quitter une amie et qu’elle rentrait chez elle. Au matin, quand la police est appelée sur les lieux, c’est pour découvrir son corps à demi carbonisé. Puisque nous savons que nous ne connaîtrons jamais l’auteur de cet odieux féminicide, nous pouvons nous concentrer, comme nous y invite le réalisateur, sur d’autres aspects de cette affaire. Et, d’abord et avant tout, sur son impact sur les deux enquêteurs qui la prennent plus particulièrement en charge : Yohan (Bastien Bouillon) et Marceau (Bouli Lanners). C’est le premier, surtout, qui en subit le plus rudement le contrecoup. Marceau est plus impulsif, plus colérique aussi, au point qu’il se fait, au moins une fois, remettre en place par son collègue (ce qui ne supprime aucunement leur complicité). Yohan, d’apparence plus calme, plus posé, assez réservé de caractère, reste, lui, presque constamment obsédé par l’affaire en cours. La vision du cadavre de la jeune femme brûlée vive le hante. Dans la carrière d’un enquêteur de police, nous est-il dit, c’est ainsi : une des affaires, un des crimes se mue en idée fixe, en vision obsessionnelle. Seul exutoire pour Yohan : revêtir son habit de cycliste pour faire des tours et des tours de la piste d’un vélodrome jusqu’à l’abrutissement.

L’autre facette du drame criminel auquel nous confronte le réalisateur, c’est, comme le souligne, à la fin du film, la juge interprétée par Anouk Grinberg, « ce qui cloche entre les hommes et les femmes ». Habilement écrit, en évitant le piège du film à thèse, le scénario abonde en réflexions, en notations, mettant au premier plan cet aspect. Pourquoi quelqu’un a-t-il brûlé vive une jeune femme de 21 ans ? Pourquoi certains hommes semblent-ils avoir cette obsession de brûler la femme, jusqu’à chanter cette idée fixe sous forme de rap ? Pourquoi sont-ce le plus souvent des femmes que l’on met sur des bûchers, tandis que ce sont toujours les hommes qui les allument ? Yohan lui-même, l’enquêteur, se trouve, à plus d’une reprise, ébranlé dans sa masculinité, lui qui exerce un métier où celle-ci (la masculinité) est surreprésentée : ainsi, quand il interroge une amie de la jeune femme assassinée, ou encore quand il entend le point de vue d’une collègue venant de rejoindre son équipe. Et, surtout, quand il entend un des membres de la PJ, un homme celui-là, laisser entendre que, après tout, si la jeune femme a été brûlée vive, c’était peut-être un peu de sa faute. Elle n’était pas très prudente dans le choix de ses amants… Inquiétante disposition du regard masculin, si prompt à accuser les femmes.

Si le réalisateur met en scène de nombreuses scènes d’interrogatoires, d’enquête de voisinage ou de terrain, il n’élude pas, pour autant, le côté le plus fastidieux du travail d’enquêteur. Comme le dit Marceau, sur un ton désabusé, « nous sommes chargés de combattre le mal en rédigeant des rapports. Des rapports. Des rapports… ». Si encore les moyens alloués à la police étaient suffisants, ce qui est loin d’être le cas. Entre une photocopieuse toujours en panne et l’impossibilité de mettre en place certains dispositifs de surveillance, faute de budget acceptable, les policiers font ce qu’ils peuvent, pris entre l’obligation d’obtenir des résultats et les manques de moyens conséquents.

Que de constats amers, se dira-t-on, peut-être. C’est vrai, mais n’est-ce pas l’une des vocations du cinéma que de confronter le spectateur à « ce qui cloche » ! Pour ce faire, le film de Dominik Moll s’y prend de manière on ne peut plus intéressante. 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films, #Polar
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