LES SECRETS DE MON PÈRE

Un film de Véra Belmont.

Ce film d’animation est l’adaptation d’une bande dessinée, ou plutôt d’un roman graphique, de Michel Kichka, ayant pour titre Deuxième Génération. L’auteur s’y inspire fortement de sa propre histoire, de son enfance passée en Belgique jusqu’à son départ pour Israël avec passage obligé, peut-on dire, dans un kibboutz, avant de pouvoir voler de ses propres ailes en travaillant en tant que dessinateur et caricaturiste pour la presse de ce pays.

Scénarisé pour le grand écran par Véra Belmont et Valérie Zenatti, le film met davantage l’accent sur l’enfance et l’adolescence de Michel en Belgique, plus que sur le départ et les premières années passées en Israël. Avec son frère cadet Charly, Michel ne demande qu’à vivre dans l’insouciance propre à son âge. Au début du film, le décor est celui de la ville de Seraing, bourgade belge où se déroulent tous les films des frères Dardenne. Mais nous sommes ici en 1959, à une époque où sont encore nombreux ceux qui ont connu, d’une manière ou d’une autre, les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale.

Il faut des événements particuliers pour que Michel et Charly prennent conscience de leur identité juive. À la maison, on ne pratique aucune religion, mais à l’école, les enfants sont identifiés comme étant juifs, ce qui permet à Michel d’aller jouer au ballon pendant que les autres élèves sont astreints à suivre un « cours de religion » donné par un prêtre. Plus tard aussi, sur l’insistance de sa mère, Michel fait, à la synagogue, sa bar-mitzvah. Mais c’est à cause de leur père et de son silence que les enfants sont amenés à s’interroger non seulement sur la judéité en elle-même mais sur les horreurs subies par les Juifs.

Les deux enfants sont en effet confrontés à un mystère : leur père s’enferme, durant des heures, dans son bureau avec ses secrets. De plus, il porte un numéro matricule sur l’un de ses bras. Or, si ce père se montre proche de Michel quand il s’agit de lui apprendre à dessiner, dès qu’il est question du passé et, en particulier, d’Auschwitz, il se mure dans son silence. Ce que les deux enfants apprennent ou entrevoient à propos de leur père, c’est en s’introduisant dans son bureau en son absence pour y fouiner dans ses papiers.

Or, quelque chose change à partir du 11 avril 1961, quand s’ouvre, à Jérusalem, le procès d’Eichmann. Le film d’animation en intègre alors quelques extraits. C’est un choc pour tous les rescapés des camps de la mort. À partir de ce moment, beaucoup de ceux qui, auparavant, restaient enfermés dans leur douloureux silence, se mettent à parler, à témoigner, à vouloir transmettre l’horreur de ce qu’ils ont connus. Le paradoxe, pour ce qui concerne le père de Michel et Charly, c’est que, alors qu’il se sent investi de la mission de témoigner, lui aussi, de ce qu’il a vécu à Auschwitz, au point qu’il est de plus en plus sollicité, y compris dans les médias, il persiste à ne rien vouloir dire à ses propres enfants. Malgré lui, peut-on dire, il s’éloigne d’eux et, plus encore, quand survient, dans sa propre famille, un drame inattendu. La réaction du père provoque alors l’incompréhension de Michel et précipite son départ pour Israël.

Réalisé, de manière classique, en dessins 2D à la ligne claire, selon la bonne tradition franco-belge, le film abonde en trouvailles permettant de visualiser les perceptions et les peurs enfantines. Ainsi quand Michel, dans un cauchemar, voit des prisonniers arrivant à Auschwitz et se faisant tatouer leur matricule sur un bras, puis des soldats allemands ayant l’apparence de squelettes. Mais le film témoigne surtout, pour ceux qui sont des rescapés des camps, de la difficulté d’affronter ses démons, ses hantises, tout en parvenant à ouvrir, entre père et fils, la porte d’une réconciliation.   

8/10

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

LES SECRETS DE MON PERE | Bande annonce

https://www.youtube.com/watch?v=dDQcU_Ibp3I