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ARMAGEDDON TIME

Un film de James Gray.

 

Comme Kenneth Branagh qui, avec Belfast, sorti en mars de cette année, s’inspirait de sa propre enfance pour raconter l’histoire d’un gamin de neuf ans dans le contexte troublé de la capitale de l’Irlande du Nord à la fin des années 60, James Gray, lui aussi, rompant avec son style habituel, s’inspire de sa propre préadolescence pour mettre en scène des épisodes de la vie d’un jeune garçon dans le New York de l’année 1980. L’année a son importance car c’est le 4 novembre de celle-ci qu’est élu président des USA Ronald Reagan. Or c’est précisément lui qui, apparaissant à la télévision en tant que candidat, lâche ce mot d’Armageddon, voulant signifier par là que s’il échouait à être élu, le pays risquerait de se déliter dans le chaos.

Ce contexte politique traverse, d’une certaine manière, tout le film de James Gray. Car ce que celui-ci entreprend ici de raconter, ce n’est rien moins qu’une histoire d’amitié entre deux garçons, l’un blanc, l’autre noir, ce qui, dans un pays comme les USA, ne va pas de soi. Le garçon blanc, c’est Paul, l’alter ego de James Gray, qui, au début du film, fait ses premiers pas dans le collège public où il a été admis en classe de 6ème. Or c’est dans la classe qu’il intègre qu’il fait la connaissance d’un garçon noir, un redoublant, prénommé Johnny. Tous deux se font vite remarquer par leur professeur, Paul parce qu’il s’est amusé à dessiner une caricature de ce dernier, caricature qu’il a voulu faire circuler parmi les autres élèves, Johnny parce qu’il a aussitôt renchéri en soutenant bruyamment son camarade. En somme, c’est sur un terreau d’indépendance et de révolte que naît l’amitié de ces deux-là.

Leur complicité se renforce encore davantage lorsqu’ils entreprennent de faire, comme dans un fameux film de François Truffaut auquel James Gray rend manifestement hommage, les 400 coups. Faire une fugue au cours d’une visite scolaire du musée Guggenheim, fumer, dans les toilettes, des substances interdites : les deux garçons se distinguent volontiers par leurs frasques. La conséquence, pour ce qui concerne Paul, c’est que ses parents décident de le retirer de son collège public pour l’inscrire dans un établissement privé, dirigé par une famille qui va faire parler d’elle, la famille Trump ! Le changement est radical : Paul doit désormais porter un costume, écouter régulièrement des discours lui rappelant que son école se targue de former l’élite du pays et constater que, parmi ses camarades, non seulement il ne se trouve aucun noir mais que, pour autant, les propos racistes n’y sont pas rares. Son amitié avec Johnny est mise à l’épreuve, de ce fait, mais n’est pas totalement détruite, comme le prouve une vibrante séquence de la fin du film.

Il faut dire que Paul trouve, au sein de sa propre famille, un précieux confident, quelqu’un qui est toujours prêt à l’écouter. Si Johnny est pauvre et doit vivre seul avec sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, Paul, quant à lui, est l’un des deux rejetons d’une famille riche de juifs ashkénazes dont les ancêtres, du côté paternel, ont dû fuir les pogroms de l’Ukraine. Cette famille, telle qu’elle se présente en 1980 à New-York, James Gray s’attache à la dépeindre avec soin, en particulier la mère à la fois protectrice et toujours insatisfaite, le père volontiers colérique et cependant capable d’attention, et surtout le grand-père, impeccablement joué par Anthony Hopkins. C’est de lui, du grand-père, dont Paul se fait le confident, dont il se sent le plus proche, tant le vieillard sait se mettre à son écoute, sans le juger, mais en lui donnant de bons conseils : « Crois en tes rêves ! Signe tes dessins de ton nom ! Sois un mensch ! Ne te laisse pas intimider par les racistes ! » Tels pourraient être, en substance, quelques-unes de ses recommandations.

Le racisme endémique et systémique, ce racisme qui gangrène les USA, James Gray le détecte, sans se faire donneur de leçon, mais avec lucidité et en en montrant les tristes manifestations, y compris chez des préadolescents à qui on a inculqué qu’il faut garder ses distances d’avec les Noirs et qui, donc, voient d’un mauvais œil l’amitié de Paul et Johnny. Tout entier tourné dans des tons ocres qui font penser à l’automne, le film s’imprègne d’un soupçon de mélancolie propre à cette saison, tout en se préservant d’un pessimisme radical. Tout comme le jeune Paul dans le film, James Gray, à l’âge de 12 ans, se passionnait pour le dessin et se rêvait en peintre. En fin de compte, c’est vers le cinéma qu’il s’est tourné et pour devenir rien moins qu’un des cinéastes les plus doués de sa génération. 

9/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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