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VIVRE

Un film de Oliver Hermanus.

 

 

Au départ, il y a une nouvelle de Léon Tolstoï, parue en 1886, La Mort d’Ivan Illitch. Le grand romancier russe y raconte les derniers jours d’un magistrat qui, comprenant que sa vie s’achèvera bientôt, réalise combien elle fut, en tout point, médiocre et, se repentant, parvient à une forme de rédemption. C’est de cette nouvelle dont s’inspira Akira Kurosawa pour le film qu’il intitula sobrement Vivre et qui sortit sur les écrans en 1952. Le grand cinéaste japonais y mit tout son talent pour filmer la fin de vie d’un fonctionnaire du service municipal des Affaires publiques d’une ville du Japon, un certain Kanji Watanabe qui, atteint par un cancer de l’estomac et sachant qu’il ne lui restait que peu de temps à vivre, mit à profit ses quelques mois de sursis pour trouver le bonheur d’une part dans une relation tout amicale avec une jeune femme pleine de joie de vivre, d’autre part en mettant tout en œuvre pour faire aboutir un projet de parc que réclamaient depuis longtemps des habitantes de la ville sans parvenir à leurs fins du fait de l’inertie de l’administration. En somme, le bonheur de Watanabe, ce fut de se dévouer pour le bien d’autrui.

Cette histoire ressort donc aujourd’hui sur nos écrans en bénéficiant de l’écriture, au scénario, du romancier britannique d’origine japonaise Kazuo Ishiguro et de la réalisation tout en finesse du cinéaste sud-africain Oliver Hermanus. Dans ce remake, l’histoire ne se déroule plus au Japon mais en Angleterre, à Londres, en 1953, ce qui ne supprime en rien sa pertinence, au contraire. Elle convient à merveille au milieu londonien de l’époque, avec ses troupes de fonctionnaires à chapeau melon se rendant rituellement à leur travail chaque matin, avec un souci constant de respecter un protocole immuable. À la mairie de Londres, où travaille, en tant que chef d’un des bureaux, Mr Williams (Bill Nighy), il en est de même. Chacun est à sa place et l’on s’y efforce surtout de rajouter des dossiers sur la pile de ceux qui sont (et risquent de rester indéfiniment) en attente de traitement. Une séquence kafkaïenne montre bien le sort qui est réservé à la plupart des dossiers : trois femmes d’un quartier de Londres plaidant pour transformer un terrain vague en aire de loisir pour les enfants sont renvoyées de bureau en bureau à tous les étages du bâtiment municipal pour, en fin de compte, revenir à leur point de départ sans avoir rien obtenu.

Mr Williams, homme flegmatique ne manifestant jamais la moindre émotion, peut être considéré comme un modèle dans ce milieu administratif. Néanmoins, quand il apprend par son médecin qu’il est gravement malade et qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre, pour la première fois de sa vie probablement il est ébranlé. Tellement déstabilisé que, le jour suivant, à la surprise de ses collègues, il ne se rend pas à son travail. Hébété, il cherche à se distraire, à oublier, à s’étourdir en se rendant, guidé par un homme de rencontre, dans des lieux de spectacle, cabarets ou autres. Ces tentatives demeurant insatisfaisantes, c’est la rencontre avec Margaret (Aimee Lou Wood), jeune femme qui était sa collègue de bureau et qui vient de trouver un nouvel emploi dans la restauration, qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Elle est l’antithèse de Mr Williams : autant celui-ci s’est toujours efforcé de conserver sa raideur en toute chose, autant elle incarne la joie de vivre et l’humour (elle avoue à Mr Williams qu’elle lui avait donné comme surnom « Mr Zombie » !).

À ce contact, Mr Williams (qui doit beaucoup à l’interprétation tout en délicatesse de Bill Nighy) se transforme, au point de vouloir achever sa vie en faisant le contraire même de ce qu’il a toujours fait au long de sa carrière de fonctionnaire. Au lieu d’enterrer les dossiers, il s’efforce de mener l’un d’eux à terme et, ce faisant, de rendre un grand service à autrui. Ceux qui ont vu le film de Kurosawa savent de quoi il s’agit, les autres le découvriront. Une scène magnifique, présente dans les deux films, résume tout : alors qu’il neige, Mr Williams est assis sur une balançoire et il chante. Il a enfin trouvé le bonheur, qui est de rendre heureux les autres.   8,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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