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BABYLON

Un film de Damien Chazelle.

 

 

C’est presque un genre cinématographique en soi: Hollywood revisitant sa propre histoire sur grand écran. Parmi les films qui ont illustré ce genre, certains, à juste titre, brillent au firmament du 7ème art comme de grands classiques qu’on ne se lasse pas de revoir. Ainsi d’une des meilleures comédies musicales de l’histoire du cinéma, Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly, qui aborde en chantant et en dansant une époque charnière, celle du délicat passage des films muets aux films parlants (à la fin des années 1920).

Or, c’est précisément cette même période, entre 1926 et 1932, que Damien Chazelle choisit ici de revisiter, et il le fait explicitement comme une manière de réponse à Chantons sous la pluie. Ce que ce film montrait d’une manière distrayante, sinon légère, Chazelle, lui, se targue d’en dévoiler l’envers du décor. Le film commence, d’ailleurs, avec une séquence de folie : une fête, une bacchanale plutôt, dans une demeure fastueuse des hauteurs de Los Angeles, où l’on a réussi à péniblement convoyer un éléphant (qui a abondamment déféqué sur ceux qui, dans une pente abrupte, poussaient le véhicule sur lequel il était perché !). Quant à l’orgie à laquelle se livre la foule, elle ne se prive d’aucun dérèglement : musique, danse, alcool, fornication, drogue, il y a de tout, y compris une femme qui s’effondre morte après avoir uriné sur un homme obèse !

Le ton est donné. On ne peut pas reprocher à Damien Chazelle de ne pas s’être documenté. Il est vrai que l’Hollywood des années 1920 était réputé comme étant le lieu de toutes les dépravations et il est vrai aussi que des journalistes de cette époque se délectaient à en décrire les scandales. Quant aux personnages qui se détachent dans le film de Chazelle, ils sont tous inspirés par des personnalités réelles, que ce soit Manny Torres (Diego Calva), un jeune latino qui parvient à se faire employer comme homme à tout faire ou Nellie LaRoy (Margot Robbie), aspirante comédienne bien décidée à devenir une actrice de premier plan, ou encore Jack Conrad (Brad Pitt), prototype de l’acteur vedette de ce temps-là, bientôt sur le déclin à cause de l’arrivée du cinéma parlant.  

Le problème du film de Chazelle, c’est que le cinéaste n’est pas tant préoccupé par l’authenticité historique de ce qu’il met en scène que par la démonstration qu’il veut assener aux spectateurs. Pour lui, comme il l’affirmait, paraît-il, à la suite d’une présentation de Babylon, il s’agit d’exprimer sa haine d’Hollywood autant que son amour du cinéma. D’un côté, il y aurait donc les affreux jojos de l’industrie du cinéma, de l’autre des films qui, eux, méritent plein d’éloges.

Il est vrai que le passage du cinéma muet au cinéma parlant s’est accompagné d’un retour à la morale et aux codes de vertu. Finies les orgies des années 20, place à la rigidité, à la rigueur, à la tempérance, aux bonnes mœurs (et à beaucoup d’hypocrisie) ! En 1930 est même édicté un code de bonne conduite, le code Hays, qui ne sera vraiment appliqué qu’à partir de 1934. Cet Hollywood-là, celui des censeurs, Damien Chazelle le vomit et son film tend à démontrer que, même si l’on peut persévérer à aimer les films, on ne peut que détester ceux qui tirent les ficelles de cette industrie.

Afin d’argumenter son propos, le cinéaste ne se prive d’aucun excès. Tout est bon pour souligner encore et encore la démonstration : la merde d’éléphant, le vomi, l’urine, le clou de l’abjection étant atteint lors d’une descente dans les bas-fonds de la ville où se produisent des spectacles clandestins particulièrement répugnants. Cette accumulation de scènes choc finit par générer la lassitude et le dégoût, et rien de plus. La dispositif de Chazelle, censé nous convaincre du bien-fondé de son point de vue, paraît tellement outré, grossier, vulgaire, qu’il provoque surtout l’écoeurement. Le cinéaste est pourtant capable d’un semblant de finesse quand il veut s’en donner la peine, comme il l’a prouvé avec La La Land en 2016. Mais de cela, il ne reste rien dans Babylon, rien qu’une grosse machine exubérante qui ressemble ironiquement à ce que Hollywood a produit de plus inutilement fastueux, dans le mauvais sens du terme.   

5/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Tag(s) : #Films
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