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LE RETOUR DES HIRONDELLES

Un film de Li Riujun.

 

 

À peine ce film avait-il été programmé dans les cinémas de Chine qu’il fut retiré de l’affiche pour être remonté et à nouveau programmé, mais avec des modifications et une fin différente. Puis il fut purement et simplement interdit. Pourquoi cette censure émanant du pouvoir en place à Pékin ? Parce que le film met en scène, de manière trop frontale, l’envers du décor que la Chine veut montrer au monde. Les autorités chinoises estiment que ce film donne une image trop misérabiliste du monde rural chinois. Li Riujun, le réalisateur, lui-même originaire de la campagne, en optant pour une mise en scène naturaliste, fut jugé subversif.

Qu’en est-il, en vérité ? Certes, le film n’élude rien des difficultés de vie des petits paysans chinois et l’on découvre qu’ils sont durement exploités, sous-payés et, de ce fait, alors qu’ils passent l’essentiel de leurs journées à trimer, qu’ils mènent une existence de grande pauvreté, sinon de misère. Mais, plutôt que d’établir un constat général accablant sur les conditions de vie des paysans chinois, le film s’attache surtout à raconter l’histoire de deux d’entre eux et c’est à cause de cela qu’il nous touche et qu’il évite, contrairement à l’accusation faite par les censeurs chinois, le misérabilisme.

Ma Youtie (Wu Renlin), un petit exploitant agricole d’un âge déjà assez avancé, en vient à épouser Cao Guiying (Hai-Qing), une femme déconsidérée et dont personne d’autre ne voulait. En effet, parce qu’elle fut copieusement battue étant enfant, Guiying est devenue incontinente et, d’après les médecins, elle ne peut pas avoir d’enfant. Pourtant, par le truchement des deux familles qui s’arrangent entre elles, le mariage a lieu. Guiying, qui a eu l’occasion d’apercevoir Youtie caresser son âne, alors qu’habituellement cet animal est maltraité par ses propriétaires, s’est fait la réflexion que, certainement, cet homme-là ferait un bon mari.

Elle ne s’est pas trompée. C’est la force et la beauté du film que de mettre en évidence l’amour qui ne tarde pas à unir ces deux êtres déshérités. Leur vie est rude, cruelle même, de nombreuses scènes nous les font voir travaillant comme des forçats, et cependant ils ne se plaignent quasiment pas et sont toujours remplis d’attention l’un pour l’autre. Une seule fois, une seule, Youtie s’énerve un peu du fait de la maladresse de Guiying qui n’arrive pas à soulever des bottes de paille pour les mettre sur une carriole. A contrario, on n’en finirait pas de dresser la liste de tous leurs gestes et leurs paroles empreints de sollicitude. Le réalisateur leur ménage même quelques moments de grâce, par exemple lorsque Youtie place une ampoule allumée dans un carton percé de trous et que le visage émerveillé de Guiying s’éclaire et s’adoucit pour un instant.

Cet amour-là, le cinéaste sait le filmer en évitant toute mièvrerie. Au contraire, il le pare de beauté et en fait le pivot de deux vies en apparence très ingrates, vouées aux travaux les plus harassants. Les vies de pauvres paysans du fin fond de la Chine, que les autorités veulent obliger à quitter leur masure (alors que Youtie en a construite une toute neuve de ses propres mains) pour habiter dans un immeuble. Mais que faire des animaux dans ce cas ? S’il faut habiter dans un appartement, que deviendront l’âne, le cochon et les poules ? Ces considérations ne comptent guère pour la famille riche du coin dont le seul souci semble être de s’approprier les terres. Youtie a eu beau accepter de donner son sang pour la guérison d’un des membres de cette famille, parce que son groupe sanguin était compatible, il n’en obtient pas pour autant de grandes compensations. Cet aspect-là aussi a dû peser en faveur de la décision prise par les autorités chinoises d’interdire le film. Un film dont la puissance narrative et la profondeur du regard ont touché, à juste titre, les Chinois qui ont pu le voir avant son interdiction.   

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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