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POUR LA FRANCE

Un film de Rachid Hami.

 

 

La séquence d’ouverture du film peut faire songer, pour ceux qui la connaissent, à Jusqu’à la ceinture, une chanson du regretté Graeme Allwright. Après avoir chanté en chœur un hymne viril, des militaires de Saint-Cyr Coëtquidan exécutent un exercice de nuit à haut risque : avancer dans une rivière si torrentueuse qu’ils ont de la peine à garder la tête hors de l’eau. Le drame survient alors : un des hommes meurt de noyade. En fait, comme on l’apprend rapidement, il s’agissait de ce que les militaires appellent un « bahutage », manière hypocrite de ne pas appeler la chose par son nom : un bizutage.

Pour autant, et alors que le film est en grande partie autobiographique, le réalisateur semble avoir voulu épargner le plus possible la « grande muette ». Or, et même s’il fallait sans doute éviter de faire un film délibérément antimilitariste, ne serait-ce que pour respecter la mémoire du défunt lui-même pour qui l’entrée à Saint-Cyr était un honneur et le signe par excellence d’une intégration réussie, on peut regretter que le cinéaste ait préféré se contenter d’effleurer certains sujets, tel celui du racisme chez les Saint-Cyriens, de la responsabilité des gradés et de leur lâcheté, de l’impunité accordée aux coupables (qui, d’ailleurs, restent, tout au long du film, totalement anonymes). Le gradé qui apparaît le plus, joué par Laurent Lafitte, est un homme plutôt attentionné, bienveillant et droit, alors que d’autres, qui le sont beaucoup moins, n’ont que des rôles de moindre importance.

En vérité, même si le film s’attarde assez longuement sur les décisions à prendre concernant les funérailles de Aïssa Saïdi (Shaïn Boumedine), le soldat mort au cours du bizutage, ce qui semble intéresser le plus le réalisateur, c’est l’histoire de la famille de celui-ci, de son grand frère Ismaël (Karim Leklou), de leur mère Nadia (Lubna Azabal) et de leur père Adil (Samir Guesmi). Il y a, de ce fait, abondance de flashbacks pendant tout le long-métrage, depuis l’enfance à Alger des deux frères jusqu’à un séjour d’un an à Taipei où Aïssa a choisi de passer une année de césure, d’autant plus que sa petite amie Julie (Vivian Sung) est taïwanaise, en passant par le départ d’Alger pour la France, les deux garçons y étant emmenés par leur mère, séparée de son mari, homme instable qui avait tenté d’enlever Aïssa.

Les scènes filmées à Alger mettent précisément en évidence l’antagonisme qui grandit entre les deux frères, un antagonisme qui, une fois qu’ils sont tous deux en France avec leur mère, leur fait prendre des directions opposées. Tandis qu’Aïssa s’épanouit dans de brillantes études, Ismaël se dévoie dans une existence de médiocrité. En morcelant son film sur trois périodes et trois continents, l’Afrique, l’Europe et l’Asie, le cinéaste propose un récit qui ne manque pas de subtilités, montrant les difficultés de ceux qui ont quitté l’Algérie avec l’espoir d’une vie meilleure et qui n’ont trouvé qu’un grand lot de déceptions (c’est le cas d’Ismaël), mais n’ignorant pas ceux qui s’efforcent de s’intégrer au mieux dans la société française (c’est le cas d’Aïssa). On remarquera aussi, je l’espère, avec quelle finesse le réalisateur s’efforce de mettre à bas les clichés sur les immigrés venus d’Algérie. Ne serait-ce qu’en mettant en scène les deux frères en séjour à Taipei, l’un des deux (Aïssa) ayant une petite amie taïwanaise, le cinéaste propose un tout autre regard que celui auquel on est trop habitué. Cette volonté de se détacher des lieux communs culmine lorsque Ismaël entre, par hasard, dans un temple taoïste et que, porté par ce qu’il y voit, il se met à prier intérieurement Allah, mais dans une profonde acceptation de la religion des autres.

Même si les deux frères, Ismaël et Aïssa, s’orientent dans des directions différentes, sinon carrément opposées, le cinéaste s’est gardé de trop schématiser chacun d’eux. Au contraire, il les a filmés comme des êtres complexes, chacun étant intérieurement tiraillé par des sentiments contradictoires. À la fin, lorsqu’il s’agit de célébrer les funérailles d’Aïssa, c’est la dignité des membres de sa famille, son frère, sa mère, et même son père venu d’Alger, qui saute aux yeux.  

7,5/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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