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LE CAPITAINE VOLKONOGOV S’EST ÉCHAPPÉ

Un film de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov.

 

 

Bien que projeté à la Mostra de Venise en 2021, ce film a dû patienter jusqu’à aujourd’hui pour être à l’affiche de nos salles de cinéma. Dans le contexte de la Russie actuelle et, en particulier, de la folie guerrière orchestrée par Vladimir Poutine, il n’est pas simple, on le comprend, pour les films russes d’être diffusés chez nous. D’ailleurs, la réalisatrice et le réalisateur de ce film, ainsi que la plupart de ceux qui y ont collaboré, vivent maintenant hors de leur pays, en exil.

Il ne s’agit pourtant pas d’un film dont l’action se situe dans la Russie d’aujourd’hui, mais on sait que, dans le pays de Poutine, tout est soumis à un contrôle des plus stricts, y compris les pages de l’histoire ancienne, lorsqu’on se propose de les revisiter. Il est vrai qu’en l’occurrence, ce sont des événements parmi les plus effroyables qu’ait connu ce pays dont il est question, rien moins que la grande purge qui fut fomenté en 1938 par Staline et exécuté par les membres du NKVD, à charge pour eux d’épurer la société de tous ses éléments jugés non fiables. En un peu plus d’un an, un million et demi d’individus furent arrêtés, parmi lesquels 750 000 furent mis à mort.

Telle est la sombre réalité à laquelle nous confronte le film de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov. Néanmoins, sans rien éluder des terribles événements de cette année 1938, sans se priver de montrer les rouages de la répression ainsi que les méthodes employées pour détruire les personnes suspectes, les cinéastes ont fait le choix, au demeurant tout à fait judicieux, de raconter une sorte de parabole qu’on peut définir comme étant un thriller métaphysique. D’un côté donc, non seulement le film ne se détourne pas de la terrible réalité des tortures (appelées hypocritement « méthodes spéciales ») pratiquées par les hommes de main du régime et de son dictateur, mais également il fait énoncer par l’un d’eux un discours justificateur (qui n’est pas sans résonances avec ce qui se passe dans la Russie d’aujourd’hui) selon lequel il ne s’agit pas d’arrêter et d’exécuter des coupables mais simplement des individus qui ne sont pas fiables. D’un autre côté, les cinéastes ont soigneusement évité tout manichéisme. Même parmi les hommes de main du NKVD, habillés comme des hooligans et se livrant, pour se détendre, à des jeux brutaux, il s’en trouve qui ne sont pas complètement déshumanisés, comme cette jeune recrue désignée pour abattre un condamné et qui, prétextant une crampe qui l’empêche de lever le bras, doit être soulevée de terre par un bourreau pour être à la hauteur qui convient, celle de la nuque de l’homme à abattre.

Mais c’est surtout celui qui donne son titre au film qui prouve, en quelque sorte, que, même parmi les exécutants des basses besognes, quelqu’un peut se souvenir qu’il a une âme. Le premier déclic, pour le capitaine Volkonogov (Yuriy Borisov), c’est de réaliser que, bientôt, ce sera son tour, que, comme plusieurs de ses camarades avant lui, il est tout désigné pour passer du statut de bourreau à celui de victime. Le deuxième déclic, c’est lors d’une scène fantasmagorique, de voir un mort enfoui dans une fosse commune sortir de terre pour le mettre en garde. Dès lors, non seulement Volkonogov se convainc qu’il a une âme, mais que cette âme, il faut la sauver avant qu’il ne soit trop tard. Pour ce faire, il n’y a qu’une solution : obtenir le pardon d’un parent, d’un proche d’une des personnes que Volkonogov a contribué à arrêter et à mettre à mort. Commence alors, peut-on dire, une course au rachat. Pendant que le NKVD est à ses trousses, il s’agit de retrouver les personnes en question, d’implorer pardon et d’espérer le recevoir en retour.

Bien davantage que de sauver sa peau, car Volkonogov sait qu’il ne pourra échapper longtemps à ses poursuivants, il s’agit donc de sauver son âme. Reste à trouver la personne suffisamment magnanime pour répondre favorablement à la demande de pardon d’un homme qui s’illustra en collaborant activement à la barbarie. Comme on peut l’imaginer, ce n’est pas gagné. Cette histoire de course à la rédemption, Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, même s’ils n’évitent pas les scènes à déconseiller aux personnes sensibles, prennent soin de la teinter d’une atmosphère quasi onirique, comme lorsque surgit dans le ciel un énorme dirigeable de couleur sombre qui semble vouloir écraser la ville et ses habitants. Mais c’est à la toute fin du film que survient la scène la plus signifiante et la plus remarquable, lors d’une rencontre entre Volkonogov et une vieille femme décharnée. Rien que pour cette scène-là, ce film mérite d’être amplement complimenté.   

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Thriller, #Drame
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