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LE BONHEUR DES PETITS POISSONS

Un livre de Simon Leys.

 

 

Sous-titré « Lettres des Antipodes », ce volume rassemble les chroniques que le sinologue et écrivain belge Simon Leys (1935-2014) publia pendant deux ans, en 2005 et 2006, dans la revue Le Magazine Littéraire. La plupart de ces chroniques sont très brèves et, néanmoins, aucune d’elles ne m’a semblé banale. Au contraire, sans s’embarrasser de grandes phrases, l’auteur déploie tout son talent d’écrivain, toute sa sensibilité, toutes ses connaissances, tout son humour et toute sa subtile intelligence pour faire vaciller nos idées toutes faites et nos petits conforts intellectuels. On peut comparer Simon Leys à Jean-Bertrand Pontalis (au sujet duquel j’écrivais récemment) : tous deux savent être justes et pertinents en étant simples, sans jamais éprouver le besoin de nous égarer ni de nous décourager comme le font certains philosophes.

Simon Leys écrit comme cela vient, pourrait-on dire, au gré de ses lectures et de ses agacements, et il aborde mille sujets. Bien sûr, en éminent sinologue qu’il était, il se réfère souvent aux auteurs et aux peintres chinois. Mais sa culture déborde de beaucoup les frontières de sa spécialité et il se montre tout aussi capable d’écrire au sujet de Sartre, de Proust ou de Tchekhov et, même, d’auteurs qu’on risquerait un peu rapidement de ranger dans des sous-catégories mais dont il parle avec une gourmandise qui excite notre curiosité de lecteurs (ainsi la chronique qu’il consacre à Patrick O’Brian, un écrivain qui s’était spécialisé dans les récits d’aventures maritimes tout en étant lui-même un marin des plus pitoyables !).

A ce sujet, l’on remarque la place éminente que Simon Leys réserve à la littérature de fiction. Dans une de ses chroniques les plus longues, il explique judicieusement que la vérité se dévoile davantage dans ce qu’on aurait tendance à désigner comme étant de l’ordre du mensonge. Autrement dit, nous dit-il, on n’atteint vraiment la vérité que par l’imaginaire. Les philosophes eux-mêmes s’en sont servis (pensons à Platon et à son mythe de la caverne). Et j’ajoute que, dans les Évangiles, Jésus ne fait pas autrement puisqu’il parle, le plus souvent, au moyen de paraboles. J’ajoute aussi que les prix décernés cette année à des ouvrages de non-fictions (comme le Goncourt attribué à « L’Ordre du Jour » d’Éric Vuillard) peuvent, à juste titre, susciter la perplexité. Il n'est pas sûr du tout, pour dire les choses autrement, que les livres réputés "sérieux" (les ouvrages d'historiens, de philosophes, de théologiens, etc.) nous fassent approcher davantage de la vérité du monde et des êtres que la littérature de fiction (romans, pièces de théâtre, etc.) et la poésie.

On peut aussi rester songeur et s’irriter des aberrations des censeurs qui songent, par exemple, à faire interdire l’usage de la cigarette dans les films français. Simon Leys, lui, qui ne craint pas d’aller à contre-courant des rigidités dominantes, consacre une de ses chroniques à nous convaincre que « les cigarettes sont sublimes » ! On se régalera aussi à lire ce que l’auteur écrit au sujet de « la vérité du romancier », de « l’empire du laid », des rapports compliqués des écrivains avec l’argent, et j’en passe. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’ennuie jamais en compagnie de Simon Leys !

9/10

 

                                                           Luc Schweitzer, ss.cc.

 

Citations:

"Les romanciers sont les historiens du présent, les historiens sont les romanciers du passé, et tout écrit qui présente une certaine qualité littéraire aspire essentiellement à être poème." (Simon Leys, "Le Bonheur des Petits Poissons", Livre de Poche page 29).

"Pierre Reverdy a remarqué: "Il me faut tellement de temps pour ne rien faire, qu'il ne m'en reste plus pour travailler." Ceci est d'ailleurs une excellente définition de l'activité poétique, laquelle est elle-même le fruit suprême de la vie contemplative. Bien sûr, nous devons reconnaître les mérites de Marthe qui s'occupe des besognes ménagères, mais nous savons bien que c'est Marie qui a choisi la meilleure part, simplement en demeurant aux pieds du Seigneur. Ce que l'opinion commune flétrit sous le nom de paresse reflète en réalité un jugement plus sûr et requiert plus de caractère que la fuite facile dans l'activisme." (Simon Leys, "Le Bonheur des Petits Poissons", Livre de Poche page 97).

Tag(s) : #Livres, #Citations
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