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DE ROSSINI À CHOSTAKOVITCH (ET WALTER SCOTT) !

Le rapprochement de ces deux noms peut paraître étonnant à première vue : si Rossini et Chostakovitch ont en commun d’être deux compositeurs, leurs univers musicaux, leurs styles, leurs origines géographiques (l’un italien l’autre russe), leurs dates (Rossini est né en 1792 et est mort en 1868, Chostakovitch est né en 1906 et est mort en 1975), tout semble les éloigner l’un de l’autre.

Si je me permets néanmoins de mettre ensemble ces deux noms, c’est d’abord, je dois le dire, pour des raisons purement factuelles et presque de hasard. Il se trouve tout simplement que j’ai entrepris de lire la « Vie de Rossini » écrite par Stendhal et dont la première publication eut lieu en 1824 (c’est-à-dire bien avant la mort du compositeur). Et il se trouve que, dans le même temps, je viens de me délecter à regarder et écouter un enregistrement de l’opéra de Chostakovitch « Lady Macbeth de Mtsensk » dans une mise en scène de Lev Dodin et sous la direction musicale de James Conlon.

Mais il est une autre raison qui m’incite à réunir ces deux noms. C’est parce qu’une des questions que pose Stendhal dans sa vie du compositeur italien m’est venue à l’esprit en écoutant le dramatique et fascinant opéra du russe. Dans un court chapitre du livre, en effet, l’auteur du « Rouge et le Noir » s’interroge : « Rossini se répète-t-il plus qu’un autre ? ». Oui, répond Stendhal, mais sur le ton de l’indulgence. Forcé de composer des opéras en six semaines, Rossini usait « de cet expédient », nous dit-il, par la force des choses, pour pouvoir arriver à temps au bout de son travail. De ce fait, on peut avoir l’impression d’un peu de radotage musical quand on se met à l’écoute des diverses œuvres du maestro italien.  Mais, en vérité, c’est aussi et surtout une question de style. Rossini semble se répéter parce qu’il a son style, son langage musical propre, que, bien sûr, on retrouve d’œuvre en œuvre (même si l’on peut, comme le fait volontiers Stendhal qui va jusqu'à estimer que le compositeur se "germanise" au fil du temps, constater des évolutions).

Or, en écoutant la « Lady Macbeth de Mtsensk » de Chostakovitch, j’ai eu une impression du même ordre. Je ne sais si le temps était compté pour Chostakovitch comme il l’était pour Rossini, mais, pour qui connaît assez bien l’univers musical du russe et, en particulier, celui de ses symphonies, il est frappant, d’entendre, à plusieurs reprises, au cours de l’opéra, d’assez longs intermèdes musicaux non chantés, intermèdes qui, à chaque fois, impliquent l’orchestre dans son ensemble et qui rappellent à s’y méprendre les mouvements vifs de certaines des symphonies. On ne peut pas s’y tromper. Le style de Chostakovitch, dans ces moments-là, lorsque tout l’orchestre donne de la voix dans des accents le plus souvent à la fois dramatiques et grinçants, se reconnaît entre mille. C’est au point que les intermèdes orchestraux de l’opéra donnent l’impression d’être des mini mouvements de symphonie à eux tout seuls. Ces moments sont particulièrement intenses et captivants. Quant à l’opéra de Chostakovitch dans son ensemble (nonobstant les ennuis qu’il valut à son auteur, Staline en personne ayant été scandalisé lors d’une de ses représentations), c’est sans nul doute un des grands chefs d’œuvre de l’art lyrique du XXème siècle, une œuvre aujourd’hui incontournable. Elle raconte l’histoire d’une femme mal mariée habitant un petit bourg de Russie et qui, par ennui, prend un amant et en vient à assassiner son beau-père puis son propre mari avant d’être arrêtée et envoyée au bagne avec son complice et amant qui, alors qu’ils sont en chemin vers la Sibérie, ose l’humilier publiquement en courtisant une autre femme. Ce qui entraîne une dernière vengeance de celle qui n’a pas volé son surnom de « Lady Macbeth ».

Mais revenons au rapprochement des noms de Rossini et de Chostakovitch, rapprochement qui est loin d’être aussi incongru qu’on pourrait le penser au premier abord. Ce l'est d'autant moins que le russe, qui admirait suffisamment son aîné italien, n'hésite pas à le citer dans la 15ème et dernière de ses symphonies (où l’on entend, en effet, un emprunt à l’Ouverture de « Guillaume Tell »). Chostakovitch fut assez rusé pour composer des symphonies qui pouvaient donner satisfaction aux censeurs du régime en place, symphonies qui semblent célébrer la gloire de la révolution bolchevique et de ses réalisations mais qui, en vérité, dissimulent sous ces apparences non seulement un profond pessimisme mais des salves d’ironie et de sarcasme. Sur ce registre, le russe pouvait, sans nul doute, trouver de l’inspiration du côté des opéras de Rossini qui, eux aussi, pour une bonne part d'entre eux, sous une apparence de légèreté, révèlent d’autres facettes, plus complexes, de l’âme humaine, ce dont rend compte Stendhal.

À propos du livre de ce dernier et pour en finir avec mes remarques très libres, je ne peux pas ne pas remarquer, avec étonnement, l’abondance des références à Walter Scott. Stendhal ne rate pas une occasion de renvoyer à l’auteur d’« Ivanhoé ». Il est pour lui, manifestement, un modèle, ce qui peut surprendre le lecteur d’aujourd’hui à qui il ne viendrait sans doute pas à l’idée de citer cet auteur-là pour exemple. Stendhal va jusqu’à écrire que, pour ce qui concerne l’art de la description, « Mozart fut le Walter Scott de la musique » ! C’est dire en quelle estime il tenait ce romancier. Je le note et m’en réjouis, étant peut-être, de nos jours, l’un de ses plus fervents admirateurs. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire mais, puisque l’occasion m’en est donnée, je le répète : je considère Walter Scott comme l’un des grands écrivains du début du XIXème siècle, ne serait-ce que pour avoir écrit « Ivanhoé » qui, pour moi, est un roman de premier ordre.

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Biographies, #Musiques, #Opéras, #Compositeur
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