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POUR L’AMOUR DE DIEU

Un livre de Anne Soupa.

 

Après avoir postulé, le 21 mai 2020, pour succéder à Mgr Barbarin en tant qu’archevêque de Lyon, Anne Soupa avait posté, quatre jours plus tard, un long message sur Twitter pour y expliquer le sens de sa démarche. Depuis lors, le poste vacant a été comblé mais, bien évidemment, ni la détermination ni les convictions de celle qui avait osé braver l’interdit excluant les femmes de toute fonction de gouvernance dans l’Église n’ont été changé en quoi que ce soit. Il faut d’ailleurs rappeler que six autres femmes se sont également manifestées, se proposant, elles aussi, pour des postes de responsabilité jusqu’ici réservés aux hommes. Ces femmes forment un collectif du nom de « Toutes Apôtres ! ».

Le long message qu’Anne Soupa avait diffusé sur Twitter se complète considérablement avec la parution d’un livre ayant pour titre « Pour l’amour de Dieu ». Ayant moi-même soutenu, avec enthousiasme, dès le début, la démarche d’Anne Soupa et des autres femmes du collectif « Toutes Apôtres ! », n’ayant jamais raté une occasion d’exprimer haut et fort ma conviction qu’il fallait que l’Église se pose à nouveau la question de l’égalité hommes/femmes et, surtout, la mette en œuvre de manière concrète comme cela se pratique déjà (même s’il reste encore bien des inégalités) dans toutes les autres couches de la société, je me suis évidemment réjoui de lire l’ouvrage en question et le moins que je puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu.

Il ne m’est pas possible de reprendre ici, point par point, chacun des développements, chacun des arguments, chacune des constatations, chacune des convictions, énoncés dans le livre, cela m’obligerait à écrire un article trop long, mais ce que je puis dire, c’est que tout ce qu’a écrit Anne Soupa a trouvé résonance en moi et a encore renforcé ma détermination à réclamer les changements et les remaniements nécessaires pour redynamiser, redonner vie, pour ainsi dire, à une Église à bout de souffle. Si elle ne s’engage pas résolument dans un processus de réformes, elle, qui a déjà perdu beaucoup de celles et de ceux qui lui étaient fidèles, en perdra encore, peut-être jusqu’à devenir exsangue, vidée de force vive.  

« Il est grand temps de rallumer les étoiles », s’exclame Anne Soupa en exergue de son ouvrage au moyen d’une citation qui n’est extraite d’aucun ouvrage des Pères de l’Église mais des Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire. Voilà qui est bienvenu, mais c’est pour indiquer que, en effet, il est plus que temps d’ouvrir les fenêtres de l’Église pour laisser entrer la lumière, comme cela avait été dit au moment où se tenait le concile Vatican II. Depuis, malheureusement, sous l’impulsion de certains papes et, tout particulièrement, de Jean-Paul II (qu’on s’est empressé, à tort, de canoniser si peu de temps après sa mort), les fenêtres se sont refermées et un grand nombre d’initiatives et de changements concernant la place des laïcs ont été abandonnés au profit non seulement du maintien mais du renforcement du cléricalisme.

Les constats auxquels se livre Anne Soupa dans son livre sont affligeants, mais ils sont fondés. L’Église donne aujourd’hui d’elle-même une image rétrograde, si empesée, si étroite d’esprit, si rigide, qu’elle ne peut satisfaire que la petite frange de ses membres les plus zélés, ce qui tend d’ailleurs à uniformiser, de plus en plus, les brebis du troupeau. On aimerait qu’il y ait encore des moutons noirs pouvant exprimer leur différence mais, lassés, ils sont nombreux à quitter les rangs. Les multiples scandales qui ont impliqué des hommes d’Église depuis plusieurs années, tout comme les incidences des confinements dus à l’épidémie de coronavirus, n’ont fait qu’accélérer les départs.

Certes, le pape François s’est impliqué fortement dans un processus de remaniement de l’Église. Mais, jusqu’ici, il s’est surtout agi de paroles plus que de décisions concrètes. La récente ouverture aux femmes des ministères du lectorat et de l’acolytat n’est qu’un signe d’ouverture mineur puisqu’il ne fait qu’entériner une pratique déjà largement répandue. Néanmoins, elle aura au moins le mérite de mettre au pied du mur les curés, d’ailleurs soutenus par des évêques, qui s’arrogent le droit d’interdire aux femmes l’accès au chœur des églises (interdiction qui s’applique, entre autres, aux petites filles qui voudraient être servantes d’autel) !

Nous mettons là le doigt sur la pierre d’achoppement la plus flagrante lorsqu’il s’agit de l’Église d’aujourd’hui. Malgré les nombreuses injonctions du pape François, c’est le cléricalisme qui continue d’y être la norme. Promouvoir le laïcat, donner des responsabilités aux laïcs et, y compris, des missions de gouvernance, non seulement nous n’en sommes pas encore là mais la tendance (en tout cas, dans un pays comme la France) est à la régression. Les esprits (y compris ceux d’un grand nombre de laïcs pratiquants à qui on a inculqué cette norme) restent encore marqués par le cléricalisme. La constatation a pu en être faite, (presque caricaturalement tant c’était énorme) au cours des périodes de confinement que nous avons traversées. Elles étaient l’occasion, pour les laïcs, de se déprendre de l’emprise des prêtres mais, bien sûr, affolés, ces derniers se sont empressés de diffuser « leur messe » sur les réseaux sociaux afin de pas perdre leurs brebis !

Il y aurait beaucoup à dire mais, encore une fois, je ne peux qu’inviter à lire attentivement le livre d’Anne Soupa. Tout ce qu’elle avance, tous ses arguments, elle les a manifestement longuement médités et réfléchis. Et si elle dénonce les nombreuses impasses dans lesquelles l’Église s’est fourvoyée, ce n’est pas pour la détruire, bien au contraire, c’est parce qu’elle l’aime. En s’opposant comme elle le fait au cléricalisme qui s’est imposé au fil du temps, et de plus en plus, comme la norme de l’Église, que fait-elle d’autre sinon de demeurer fidèle à Jésus lui-même qui « en faisant fi des règles de pureté et d’impureté, (…) a mis à bas le système oppressif de la caste des prêtres [du judaïsme] » ? Or, si Jésus a agi ainsi, ce n’était certainement pas dans le but d’instaurer un nouveau système clérical parmi ses disciples. Jésus n’a pas voulu de prêtres et « les successeurs des Douze », contrairement à ce qu’on veut faire croire, « ne sont pas les clercs mais l’ensemble des baptisés. » Ne sommes-nous pas tous « prêtres, prophètes et rois » depuis notre baptême ? Pourquoi ne pas donner sa force à ce qui, pour la plupart, ne demeure qu’une formule ?

En fin de compte, il ne s’agit pas tant de réclamer à cor et à cri (comme je l’ai fait moi-même plusieurs fois, mais le livre d’Anne Soupa a infléchi mes convictions) l’accès au sacrement de l’Ordre pour les femmes que de promouvoir la place des laïcs et, en particulier, des femmes. En candidatant pour devenir archevêque de Lyon, Anne Soupa n’a jamais émis le souhait de recevoir le sacrement de l’Ordre. Elle a simplement demandé à ce qu’une femme puisse avoir cette responsabilité d’évêque, indépendamment du sacerdoce. Il ne s’agit nullement de renforcer encore le cléricalisme qui fait déjà tant de tort à l’Église. Mais il s’agit d’ouvrir des portes aux laïcs qui, s’ils sont très présents dans la vie de l’Église, « n’accèdent qu’exceptionnellement aux grandes décisions. » Et il s’agit aussi d’être résolument féministe, comme l’était Jésus lui-même, qui ne voyait que l’être humain sans se préoccuper des distinctions de genre.

« Soixante ans après Vatican II où brillèrent de grands et courageux évêques, écrit Anne Soupa en conclusion de son livre, la charge d’évêque, la plus vénérable et la plus essentielle de l’institution catholique, s’enfonce dans l’insignifiance ». « Les évêques, ajoute-t-elle, ravaudent jusqu’à l’épuisement l’étoffe usée d’un système qui n’en peut plus ». « L’urgence, précise-t-elle enfin, n’est pas aux gestionnaires (…) [mais] aux êtres de conviction, aux prophètes et aux rassembleurs ».

 

Pour l’amour de Dieu, Anne Soupa, éditions Albin Michel, 224 pages.

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Eglise, #Livres
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