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ALGUES VERTES, L’HISTOIRE INTERDITE.

Une bande dessinée de Inès Léraud et Pierre Van Hove.

 

 

Il y a des livres-dossiers, il y a des films-dossiers et il y a aussi des BD-dossiers. Celle dont il est question ici me semble, d’ailleurs, être un modèle du genre. Sa conceptrice et scénariste, la journaliste et documentariste Inès Léraud, qui s’est spécialisée dans les dérives de l’agroalimentaire breton, a mené un travail d’enquête rigoureux de plusieurs années afin de le synthétiser en un récit adapté à la forme d’une bande dessinée dont les dessins furent confiés à Pierre Van Hove. Aborder ce sujet, le faire de manière indépendante, cela ne pouvait pas ne pas déplaire fortement à ceux qui ont intérêt à ce que le scandale des algues vertes reste le plus discret possible, non seulement pour ne pas nuire au tourisme en Bretagne, mais surtout pour ne pas mettre en évidence le rôle néfaste joué par les industriels de l’agroalimentaire. Mettre ce sujet sur la table, c’est s’attirer les foudres de ces gens-là et Inès Léraud, comme tous ceux qui ont bravé les interdits implicitement liés à ce sujet, a eu droit à sa part d’intimidations, ce qui ne l’a pas découragé d’aller jusqu’au bout de son projet.

Le résultat, comme je l’écrivais, est un modèle de rigueur. Divisée en sept parties et un épilogue, la bande dessinée explore tous les aspects du problème causée par l’envahissement des plages bretonnes par les algues vertes. Non seulement les causes directes, mais aussi, de manière plus ample, les causes plus lointaines, celles qui relèvent, par exemple, de l’instauration, après la 2ème guerre mondiale, d’une agriculture « modernisée » et basée exclusivement sur la productivité. Ce système-là n’a pas seulement transformé les paysages de la campagne bretonne, mais il a été terriblement néfaste et pour l’équilibre écologique et, par contre-coup, pour la santé publique. La prolifération des élevages de porcs hors-sol en constitue l’un des aspects les plus redoutables car ce sont les eaux polluées qui sont la cause première des algues vertes.

En Bretagne, plusieurs décès d’animaux, mais aussi d’humains (ramasseur d’algues, joggeur, etc.) ont alerté un certain nombre d’individus qui, très tôt, ont tiré le signal d’alarme. Or, que ce soit de la part des élus ou de celle des préfets ou encore des responsables de la DDASS, le mort d’ordre fut, pendant des années, le déni. Les enquêtes menées après des morts suspectes traînaient systématiquement en longueur et se concluaient par des discours ambigus si ce n’était par des dénis purs et simples.

En fait, ce que montre cette bande dessinée, c’est que la majeure partie des acteurs du monde agricole, en Bretagne, est intégrée à des groupes (dont les administrateurs sont souvent d’anciens élus de la FNSEA) qui organisent la profession de A à Z. Or adhérer à l’un de ces groupes revient à entrer, à son corps défendant, dans un système d’esclavage où rien n’est négociable. Et ne comptons pas sur les élus pour que cela change, beaucoup d’entre eux ayant partie liée avec ces groupes. Quant à ceux qui, dans la profession, osent se rebeller, ils sont aussitôt victimes de représailles. Néanmoins, les rares agriculteurs qui parviennent à quitter ce système, au bout du compte, s’en sortent mieux qu’avant.

Je ne peux évidemment pas reprendre ici tous les éléments de l’enquête menée par Inès Léraud, mais, on le comprend, à partir du problème crucial des algues vertes, c’est tout un système de productivité qui est mis en cause. Aujourd’hui, les algues n’ont pas disparu du paysage. On en voit peut-être moins parce que, sur beaucoup de plages, elles sont ramassées dès leur échouement, mais il reste des lieux difficiles d’accès où elles continuent de s’accumuler et peuvent toujours provoquer des décès. C’est ce qui s’est passé, par exemple, le 8 septembre 2016, dans l’estuaire du Gouessant (Côtes-d’Armor). À noter qu’il fallut procéder, par la suite, à une exhumation du corps pour analyses et que le diacre, en charge des obsèques, fut pris à partie pour n’avoir pas empêché cette « profanation » !

Le constat dressé par cette bande dessinée n’épargne pas, pour de bonnes raisons, non seulement toute la filière de l’agroalimentaire mise en place en Bretagne, mais aussi tous ceux (des hommes politiques, par exemple, y compris Nicolas Sarkozy) qui s’en sont rendus complices, d’une manière ou d’une autre. Changer les mentalités, ce n’est pas chose aisée, mais, fort heureusement, Inès Léraud nous rappelle aussi que, en Bretagne, « de nombreuses initiatives citoyennes éclosent pour favoriser une agriculture plus respectueuse de l’environnement. » Souvenons-nous en lorsque nous irons passer nos vacances sur le littoral breton !

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Livres, #Bande dessinée
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