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SLALOM

Un film de Charlène Favier.

 

 

Si ce film fait forte impression, c’est, me semble-t-il, pour une part, parce qu’il ne se place jamais sous le registre de la dénonciation pure et simple, mais plutôt sous celui de l’analyse. Il s’agit, pour la réalisatrice, non pas tant d’expliquer d’ailleurs, mais plutôt de démêler les mécanismes qui conduisent à un rapport d’emprise et de dépendance. Car il n’est pas question, ici, seulement d’abus sexuels, mais, plus largement, de la mainmise d’un entraîneur sportif sur une adolescente passionnée de ski et désireuse de devenir une championne. La réalisatrice, d’ailleurs, ce n’est pas un secret, réussit d’autant mieux à traiter ce sujet qu’il est, en large partie, autobiographique. Elle-même fut une adolescente férue de sport s’étant retrouvée en situation de dépendance vis-à-vis de son entraîneur.

Dans le film, c’est la jeune actrice Noée Abita (grandement appréciée dans le film Ava en 2017) qui joue ce rôle, à la perfection, celui de Liz, jeune fille de 15 ans qui intègre une classe de sport-étude à Bourg-Saint-Maurice en rêvant de podium. De ce fait, elle est, en quelque sorte, abandonnée entre les mains de Fred (Jérémie Rénier), son entraîneur sportif. « Abandonnée » est le mot qui convient, dans la mesure où les parents de Liz restent terriblement distants : le père complètement absent et la mère bien plus préoccupée de refaire sa vie avec un nouveau compagnon plutôt que de s’enquérir de ce que devient sa fille.

C’est petit à petit que se construit, jusqu’à complètement dérailler, un rapport complexe de domination et d’assujettissement entre Fred et Liz. Tout est d’autant plus équivoque qu’il s’agit d’un cadre sportif, dans lequel, bien évidemment, le corps occupe une place de premier plan. Pour exceller, il faut même cesser de penser. C’est ce qu’affirme le coach : « si tu penses, t’es mort ! ». Fred, de son côté, ne se prive pas de se soucier du corps de Liz. Dès le début, il le palpe, et bientôt, profite d’une occasion pour discuter avec Liz de son cycle menstruel et de ses règles. « Il ne faut rien me cacher, je dois tout savoir », affirme-t-il.

Liz en vient rapidement à ne plus penser, en effet. Ou, en tout cas, elle ne pense que dans le but de plaire à son entraîneur et de multiplier les performances. Fred aime les gagnants et il veut, avec hargne, que sa graine de championne monte sur le podium. Cependant, quand surviennent les abus sexuels, en particulier le viol de la jeune fille, celle-ci semble, tout à coup, ne plus habiter son corps : c’est comme si elle s’en absentait, comme si elle ne laissait qu’une dépouille à son coach. Sur son visage, il n’y a que sidération ; puis, l’acte terminé, elle accomplit les gestes de quelqu’un qui cherche à nettoyer une souillure. Face à son prédateur (remarquablement interprété par Jérémie Rénier), c’est comme si elle n’avait plus de volonté propre. Au point que, lors d’un conseil scolaire, lorsque Fred propose d’héberger l’adolescente chez lui afin que sa femme puisse l’aider à faire ses devoirs, Liz est devenue tellement soumise qu’elle ne peut qu’obtempérer. Elle n’imagine pas sa vie en dehors de l’autorité de Fred.

Charlène Favier, tout imprégnée de sa propre histoire, parvient admirablement à éviter les simplifications ou les schématisations. Mais, pour autant, il n’y pas d’ambiguïté, dans le film, quant au caractère dévastateur de la domination et, en particulier, des abus sexuels. Sur ce plan-là, même si la jeune Liz n’est pas capable de s’opposer à son prédateur, il est clair que quelque chose, en elle, a été détruit pour longtemps, si ce n’est pour toujours. 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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