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LES SORCIÈRES D’AKELARRE

Un film de Pablo Agüerro.

 

 

Aujourd’hui, quand il est question de répression des femmes et d’obscurantisme à leur encontre, on évoque surtout les talibans et autres intégristes de l’Islam. Mais c’est bien chez nous, en terre de chrétienté, que, pendant des siècles, les femmes ont été opprimées et, dans certains cas, poursuivies et condamnées à être brûlées vives en tant que supposées sorcières. Bien sûr, nous pouvons toujours rétorquer que c’est de l’histoire ancienne. Ce à quoi on peut répondre que, même si, grâce à Dieu, les femmes ne risquent plus chez nous le bûcher, elles n’en sont pas moins encore considérées, par certains ou dans certains lieux ou dans certaines institutions, avec suspicion. Il n’est qu’à rappeler comment, dans l’Eglise catholique, alors que les femmes reçoivent le même baptême que les hommes, elles sont néanmoins toujours exclues du sacrement de l’Ordre. Au nom de quoi, de quels préjugés ? On se le demande. Et puis, ne supposons pas trop vite que nous sommes définitivement à l’abri d’un retour à l’obscurantisme : certains auteurs de dystopie nous mettent, opportunément, en garde à ce sujet (Margaret Atwood dans La Servante écarlate, par exemple).

Mais venons-en au film, remarquablement mis en scène, de Pablo Agüero, un film qui s’inspire de faits réels survenus au Pays basque au début du XVIIème siècle. Un juge y fut envoyé par la couronne dans une petite paroisse sans histoire pour enquêter au sujet de six femmes soupçonnées d’avoir pratiqué le sabbat. Ainsi pouvait se concrétiser, à cette époque, la misogynie, la peur des femmes, l’horreur ressentie par certains hommes de pouvoir (juges, militaires ou ecclésiastiques) lorsqu’ils estimaient que des femmes adoptaient des comportements trop libres. L’un d’eux ne dit-il pas, dans le film, qu’ « il n’y a rien de pire qu’une femme qui danse », comme si le simple fait de danser exprimait une liberté et une joie insupportables aux yeux de ce genre d’hommes. Une des femmes, quant à elle, a bien compris comment raisonnent ces hommes-là : « Les hommes ont peur des femmes qui n’ont pas peur. »

Acharnés à leur faire avouer ce dont elles ignorent tout, les juges, soldats et gens d’Eglise se croient autorisés à user de tous les moyens, y compris la torture. Une scène, particulièrement impressionnante, nous montre comment l’on cherche, sur le corps d’une femme, la marque du diable, un endroit supposé caché et insensible à la douleur. Mais une autre scène nous fait assister au jeu d’une des femmes qui, alors qu’elle est sommée par le juge de narrer son « accouplement » avec Satan, simule un orgasme. Car c’est la ruse qui vient à l’esprit d’une des femmes : entrer dans un simulacre de sorcellerie, puisque leurs accusateurs veulent, à tout prix, qu’elles soient des sorcières. Et puisqu’elles sont accusées d’avoir fait un sabbat, pourquoi ne pas en faire un, justement, ou jouer à en faire un ? Jusqu’à se déchaîner dans une ronde endiablée qui fait perdre ses esprits à leur juge…

Servi par d’excellents choix de mise en scène, en particulier beaucoup de gros plans, par des actrices qui se donnent à fond, par une photographie de toute beauté, avec des jeux de lumière qui font ressembler certaines scènes à des tableaux de grands peintres espagnols, ce film est une indéniable réussite, que ce soit sur le plan esthétique ou sur celui de l’intelligence du propos et de son pouvoir d’interpellation. 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame, #Histoire
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