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L’ÉVÉNEMENT

Un film de Audrey Diwan.

 

 

N’ayant pas (encore) lu le livre de Annie Ernaux dont ce film est l’adaptation, je ne peux faire de comparaison entre les deux. Toujours est-il qu’en mettant en scène une histoire d’avortement clandestin dont les faits se déroulent une bonne dizaine d’années avant la loi Veil, la réalisatrice a essentiellement voulu rappeler ce que c’était, à cette époque-là, précisément en 1963, que de vouloir faire une interruption de grossesse. Il ne s’agit ici nullement de tenir un discours moralisant, mais de témoigner sans fard d’une réalité éprouvante, parfois tragique, que tant de femmes ont dû subir (ou subissent encore dans un nombre important de pays). Si le film se garde d’imposer une opinion toute faite, il a le mérite d’exposer sans détours le traumatisme vécu par celles qui, coûte que coûte, pour des raisons qui leur appartiennent, ont été ou sont résolues à interrompre une grossesse dans l’illégalité, en nous confrontant à un événement qui, s’il ressort du domaine de l’intime, n’en est pas moins interpellant pour tous, qui que l’on soit, hommes ou femmes.

Pour mener à bien un tel film, il fallait trouver une actrice capable de porter, sans discontinuer, car elle est quasiment de tous les plans, le rôle d’Anne, une étudiante qui se passionne pour les lettres au point qu’elle caresse le projet de devenir écrivaine, avant de se découvrir enceinte et de se résoudre à pratiquer un avortement. Or, c’est avec un indéniable talent qu’Anamaria Vartolomei relève ce défi. Omniprésente, comme je l’ai déjà indiqué, la réalisatrice choisit de la filmer souvent en plans rapprochés, pour préférer, à d’autres moments, la cadrer un peu plus largement quand il paraît nécessaire de montrer son corps ou de faire droit à ses interlocutrices et interlocuteurs. Le format carré de l’image accentue encore ce sentiment de totale proximité avec la jeune femme, en même temps qu’il souligne son enfermement et sa solitude.

Car, bien sûr, il ne va pas de soi, pour une jeune femme de ce temps-là, enceinte et désireuse d’interrompre sa grossesse, de se confier au tout venant. D’ailleurs, quand Anne se résout à parler à l’un ou l’autre de ses amis ou de ses proches, c’est, dans certains cas, pour les voir aussitôt s’éloigner. Si elle parle, c’est au risque d’être jugée, sinon condamnée ; mais si elle se tait, comment espérer trouver le secours dont elle a besoin ? C’est ce qui apparaît en premier lieu dans l’évocation de son histoire : sa solitude. Et même quand elle parvient à trouver une oreille attentive, puis, en fin de compte, une aide véritable, l’impression d’isolement reste prégnante. Médecins, professeur, ami(e)s, mère, aucun de ces personnages n’a d’ailleurs droit à un traitement autre que schématique. C’est peut-être la limite du film, mais c’est aussi un procédé efficace quand il s’agit, précisément, de souligner le sentiment d’abandon du personnage principal.  

Si quelques scènes sont particulièrement crues, le film se garde néanmoins de tout voyeurisme. Ce qu’il fait, c’est de rappeler un passé pas si lointain où pratiquer un avortement clandestin, en France, ressemblait à une suite d’obstacles et d’épreuves quasi insurmontables pour, au bout du compte, si l’on y parvenait, risquer sa vie en se résolvant à un acte interdit. Dans la société rigide, corsetée, hypocrite, de ce temps-là, une femme décidée à avorter n’avait pas d’autre solution. Il n’est pas inutile de faire mémoire de cela.

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

                                                        

Tag(s) : #Films
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