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LES OLYMPIADES

Un film de Jacques Audiard.

 

 

Proposer une sorte de carte du Tendre de notre temps, c’est un sujet sur lequel on n’attendait pas vraiment Jacques Audiard. Pourtant, le réalisateur d’Un Prophète (2009), de De rouille et d’os (2012) et de Dheepan (2015) semble parfaitement à l’aise dans ce registre, nouveau pour lui, celui de l’exploration des sentiments amoureux. Il faut préciser que, pour parvenir à ce naturel, il a probablement été aidé et soutenu par les deux femmes, toutes deux cinéastes comme lui, qui ont collaboré à l’écriture du scénario : Céline Sciamma et Léa Mysius. De plus, Jacques Audiard a su mettre de bons atouts de son côté en optant pour un casting renouvelé : en effet, hormis Noémie Merlant, actrice confirmée que l’on a d’ailleurs grand plaisir à retrouver, tant son talent est à nouveau placé sous le signe d’une sorte d’évidence, les trois autres acteur et actrices principaux sont peu connus (Makita Samba et Jehnny Beth), voire, dans le cas de Lucie Zhang, totalement nouvelle à l’écran. Or, tous quatre sont en tout point parfaits : la distribution paraît, ici, idéale.

Pour ce qui concerne le propos du film, la fameuse carte du Tendre, il s’inscrit dans un cadre et un quartier bien précis, celui qui donne son titre au film, les Olympiades, quartier de hautes tours situé dans le XIIIème arrondissement de Paris, un quartier également marqué par la diversité de sa population (avec une forte présence d’une communauté d’origine chinoise), diversité qui n’est pas ignorée par le casting : Emilie (Lucie Zhang) est d’origine chinoise alors que Camille (Makita Samba) est noir.

Or, précisément, le film commence par la rencontre de ces deux-là : Emilie ayant cherché à accueillir une colocataire, c’est Camille qui se présente. Le prénom « Camille » étant unisexe, c’est une fille qu’attendait la première et c’est un garçon qui se présente. Qu’à cela ne tienne, il est accueilli, au moins pour un temps, y compris, assez rapidement comme un amant ! Ce qui prête occasion à une série de malentendus, à la fois pour ce qui concerne les règles à observer par un colocataire et pour ce qui concerne les relations intimes (qui ne sont pas perçues de la même manière par chacune des deux personnes concernées).

D’autres rencontres prennent alors place dans le cours du beau récit choral. Survient, en effet, Nora (Noémie Merlant), étudiante inscrite à la Faculté de Tolbiac. Or, rapidement, du fait d’un quiproquo, la jeune femme se retrouve en butte à une affaire de cyberharcèlement, simplement parce qu’elle ressemble physiquement à une autre jeune femme se faisant appeler « Amber Sweet » pour s’exhiber sur un site pornographique. La pression exercée sur Nora par cette affaire est telle qu’il lui devient impossible de poursuivre son cycle d’études. C’est ainsi qu’elle en vient à faire la rencontre de Camille, en briguant un emploi dans une agence immobilière où ce dernier travaille. Une fois acceptée, elle ne tarde pas à remarquer que son charme ne laisse pas Camille différent et lui met aussitôt les points sur les « i » : pas question de drague, ni de mots, ni de gestes déplacés ! En vérité, la relation entre ces deux-là en vient à évoluer, elle aussi, ce qui vaudra à Nora de faire la connaissance d’Emilie.

Et « Amber Sweet », la jeune femme qui fait des exhibitions, en shows privés, sur un site porno ? Eh bien, c’est avec elle que le film atteint une sorte de point d’orgue. Pourquoi ? Parce que Nora s’est décidée à parler avec elle, en premier lieu, puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, sur le site en question. « Juste pour discuter », dit Nora à « Amber Sweet ». Oui, mais quand on en vient à discuter, à échanger, jusqu’où cela peut-il conduire ? Entre les deux jeunes femmes, survient et grandit une forme d’amitié inattendue, chacune en venant à se confier à l’autre, non plus sur le site porno mais sur Skype. C’est un des aspects les plus intéressants et les plus beaux du film que de faire percevoir que la jeune femme qui s’exhibe n'est en fait qu’une jeune femme comme les autres, pourrait-on dire, et qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

Si les scènes de nudité ne sont pas rares dans ce film, elles ne paraissent jamais superflues, tant elles se modulent à merveille avec le récit, avec les personnages. Après tout, c’est le sujet du film que d’explorer les relations amoureuses et il le fait remarquablement, faisant droit à toutes sortes de nuances, montrant parfaitement, par exemple, où se situe la limite du consentement (ou du non-consentement) lorsque deux personnages s’apprêtent à avoir une relation charnelle. On peut dire de ce film ce que j’écrivais dernièrement à propos de Julie (en 12 chapitres), qu’il est comme un miroir de notre époque et de ses questionnements. Il en donne la couleur, si l’on veut, bien qu’il soit tourné dans un somptueux noir et blanc, mais cela n’empêche rien. Ajoutons que les personnages secondaires, jamais bâclés, apportent leurs nuances particulières à ce tableau : ainsi de la grand-mère d’Emilie, atteinte de la maladie d’Alzheimer et finissant sa vie en EHPAD, et, surtout, de la sœur de Camille, désireuse de faire du stand-up malgré son bégaiement, celui-ci disparaissant précisément lorsqu’elle est sur scène. Au bout du compte, il reste une chose à dire : bravo, Jacques Audiard, vous avez eu mille fois raison de vous renouveler ! 

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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