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MAGDALA

Un film de Damien Manivel.

 

 

Parmi tous les personnages des Évangiles, Marie de Magdala (appelée aussi Marie-Madeleine) est sans conteste l’un des plus fascinants, l’un de ceux aussi qui ont alimenté le plus de songeries, parfois pour le meilleur, d’autres fois pour le pire (comme dans le Da Vinci Code de Dan Brown). Cette femme, que les peintres ont souvent représentée encore relativement jeune et pénitente, ayant auprès d’elle un crâne (comme dans le superbe tableau de Georges de la Tour) et, parfois, une croix, Damien Manivel, à son tour, l’imagine en laissant libre cours à sa rêverie, comme l’indique un carton au début du film. Nous sommes ici à l’opposé des élucubrations d’un Dan Brown. La Madeleine que le cinéaste filme, durant la majeure partie du long-métrage, c’est une femme âgée, à la peau noire, qui sait que son heure dernière est bientôt venue.

Interprétée par l’impressionnante et mystérieuse actrice Elsa Wolliaston, elle avance lentement, en prenant appui sur un bâton, d’abord dans un décor de forêt, puis de rochers, et enfin dans une grotte, le lieu qu’elle a choisi pour quitter ce monde. Pauvre, dépouillée de tout, n’étant revêtue que d’un habit de laine brute et d’un gros châle, elle progresse difficilement, s’arrête pour se désaltérer des quelques gouttes qui tombent d’un feuillage, pour dessiner sur le sol le visage du Christ ou pour crier, en araméen, la force de son amour, avant de reprendre son chemin. De temps en temps, elle fait une pause pour façonner une petite croix avec des brindilles qu’elle lie avec de l’herbe. Elle est seule et, manifestement, totalement habitée par la douleur de n’avoir plus avec elle celui qu’elle aime de tout son être, elle, la disciple que Jésus aimait.

Car si, dans l’Évangile de saint Jean, il est question du « disciple que Jésus aimait », ne peut-on pas croire qu’elle était, elle, Marie-Madeleine, la disciple que Jésus aimait ? Aussi, dans ce film d’une extrême sobriété, Damien Manivel s’autorise deux flashbacks, l’un montrant Marie-Madeleine en larmes au pied de la croix, l’autre la figurant avec Jésus dans la beauté de leur amour partagé, d’abord au bord d’une rivière, les mains se rencontrant dans le lit du cours d’eau, puis étendus l’un contre l’autre et totalement dévêtus. Pas de quoi, à mon avis, se scandaliser. Au contraire, ce que cette scène tend à indiquer, c’est, certes contre l’avis de saint Paul, un désir d’associer, dans un élan à la fois charnel et mystique, l’éros et l’agapè, au lieu de les opposer, comme on est parfois trop tenté de le faire.

« Je suis noire et je suis belle », comme le dit si bien le Cantique des Cantiques (1, 5). La femme que l’on retrouve à nouveau au sortir du flashback, celle qui s’avance vers le lieu de sa mort, n’a plus l’éclat de la jeunesse, mais ses yeux brillent encore de la mystérieuse beauté d’un grand amour. Damien Manivel, tout à ses scènes purement contemplatives, n’introduit qu’une seule plage musicale, en l’occurrence un sublime Lied de Schubert (sans compter le O Solitude de Purcell pendant le générique de fin). Quant aux dialogues, ils sont quasi inexistants. Seule se fait entendre, vers la fin du film, la voix de Jésus récitant, précisément, un extrait du Cantique des Cantiques (2, 10-14).

Le film, alors, s’achève dans des scènes de beauté pure, empreintes d’une forme de naïveté totalement assumée. Dans la grotte que Marie de Magdala a élue comme le lieu de son départ terrestre, quelqu’un, soudainement, est là. Non pas Jésus, quelqu’un d’autre. Madeleine n’est pas seule. Comme dans le tableau de Georges de la Tour, il n’y a de lumière que celle d’une bougie. Il y a un crâne aussi, et une croix faite de brindilles. Tout est accompli, pour Marie-Madeleine : elle va retrouver son bien-aimé pour toujours. 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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