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R. M. N.

Un film de Cristian Mungiu.

 

 

Le sigle « R. M. N. dont Cristian Mungiu a fait le titre de ce film, c’est l’équivalent roumain de ce qu’en France nous désignons par les lettres « I. R. M. ». Autrement dit, ce que se propose le réalisateur, c’est de procéder à une sorte de radiographie de la société de son pays, en particulier sous l’angle du racisme et de la xénophobie. Un tel programme pourrait s’avérer écrasant ou indigeste, mais, dès les premières scènes, on comprend qu’au contraire nous avons affaire à un film qui, en s’attachant plus particulièrement à quelques personnages, en organisant un va-et-vient très maîtrisé entre les scènes intimes et les scènes de groupe, n’aura aucune peine à nous passionner, à nous interpeller.

Tout se déroule dans un village de Transylvanie, une région de Roumanie dont le nom sonne familièrement à nos oreilles parce que Bram Stoker y a fait évoluer son Dracula mais dont nous ne savons, en vérité, pas grand-chose. Or, ce qui apparaît rapidement, c’est que la société y est multiculturelle : on y parle le roumain, bien sûr, mais aussi le hongrois, l’allemand et, occasionnellement, d’autres langues. Tout le film résonne de ce multilinguisme. On y entend même quelques échanges en français, à cause de la présence, dans ce secteur, d’un délégué écologiste venu y compter les ours !

Mais le film s’articule, en premier lieu, autour de quelques autres personnages, à commencer par Matthias, un homme plutôt fruste d’apparence, de retour d’Allemagne où il s’était exilé, depuis quelque temps, pour y travailler dans un abattoir. Revenu dans son village de Roumanie, il y retrouve sa femme, qui n’est pas très désireuse de cohabiter à nouveau avec lui, et son garçon, devenu mutique depuis qu’il a aperçu dans la forêt on ne sait quoi, quelque chose qui lui a fait peur. Le seul lieu où Matthias peut se sentir temporairement accueilli, c’est le domicile de Csilla, sa maîtresse qui veut bien encore lui accorder, de temps à autre, ses faveurs.

Cette femme, Csilla, travaille comme bras droit de la dirigeante d’une entreprise locale de boulangerie. C’est elle qui, parce que les travailleurs du cru estiment qu’ils y sont trop mal payés, fait embaucher deux Sri-Lankais (avec qui, d’ailleurs, il faut communiquer en anglais). Ces derniers, logés chez des amis de Csilla, s’avèrent être d’excellents ouvriers et, cependant, ne tardent pas à focaliser sur leurs personnes les frustrations et les rancœurs d’une bonne partie de la population pour qui ils deviennent des indésirables.

Cristian Mungiu se garde de faire de la surenchère au sujet de la pauvreté dans laquelle vivotent beaucoup des villageois. Ils ne sont pas montrés comme des gens incultes. Au contraire, certains se plaisent à se retrouver pour faire ensemble de la musique, les enfants de l’école donnent un spectacle qui n’a rien de ridicule, pour ne prendre que ces exemples-là. À cela s’ajoute la présence d’un nombre non négligeable de fidèles à l’église. Ce qui ne les empêche pas de se vanter d’avoir déjà chassé de chez eux tous les « gitans ». Et quand, un jour qu’ils sont réunis à l’église (le film se déroule durant les fêtes de fin d’année, entre Noël et Nouvel An), et qu’ils voient y pénétrer les deux Sri-Lankais, aussitôt l’un des membres de l’assemblée se lève pour mettre ces derniers dehors. Ce qui donne lieu à une série d’invectives à leur encontre. On notera, avec amertume, que non seulement le curé du lieu n’intervient pas pour contrecarrer ses ouailles, mais qu’il se fait bientôt leur porte-parole auprès de Csilla et de la direction de la boulangerie, trouvant même le moyen de justifier la xénophobie des « bons chrétiens » qui fréquentent sa paroisse (alors que Csilla, elle, ne met jamais les pieds à l’église !).

La haine envers les Sri-Lankais ne demande alors qu’à aller crescendo, donnant lieu à une séquence particulièrement impressionnante. D’abord rassemblés à l’église, les villageois sont invités par le prêtre à réciter le « Notre Père ». « Dans quelle langue ? », demande un des participants. « Chacun dans sa langue », répond le prêtre. Belle scène de communion entre les cultures ? Pas vraiment puisque, les mêmes personnes s’étant déplacés pour aller à la salle des fêtes, c’est à une véritable salve d’exécration des Sri-Lankais à laquelle ils se livrent pendant un incroyable plan-séquence de 17 minutes. Csilla et les quelques autres défenseurs des travailleurs étrangers ne font évidemment pas le poids. Et tous les arguments sont bons pour désigner les Sri-Lankais comme des intrus dont il faut se débarrasser. On songe à certains films classiques américains (dont des westerns) mettant en scène des foules qui vont jusqu’à vouloir lyncher des individus considérés comme indésirables.

Cristian Mungiu ne se propose, en aucune façon, de juger ces gens, ces villageois xénophobes, mais bien plutôt de « radiographier » leur comportement, leurs réflexes, leurs raisonnements, parfois jusqu’à l’absurde. Autrement dit, il tâche de montrer comment les mécanismes du racisme se déploient, même si c’est en dépit du bon sens. Et il le fait sans jamais s’encombrer de lourdeur, finissant même son film par une sorte de clin d’œil des plus étonnants.  

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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