Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

NOS FRANGINS

Un film de Rachid Bouchareb.

 

Le nom de Malik Oussekine, étudiant de 22 ans désireux de s’intégrer au mieux dans la société française et cependant matraqué à mort par des policiers à moto dans un hall d’immeuble, en marge des manifestations étudiantes contre la loi Devaquet, ce nom est resté dans les mémoires, à juste titre. Mais qui se souvient que, la même nuit, celle du 6 au 7 décembre 1986, à Pantin, mourait un jeune garçon de 19 ans du nom d’Abdel Benyahia qui avait voulu s’interposer dans une rixe de café et qui fut abattu à bout portant et sans sommation par un policier ivre qui n’était pas en service ?

Ces deux événements, de triste mémoire, Rachid Bouchareb les réunit dans un même film, pour un même hommage à deux garçons morts pour rien, pour une même sidération et une même colère devant les injustices et les mensonges, avec la même question qui nous est posée, à nous, aujourd’hui : Les choses ont-elles changé ? Ou, au contraire, ne doit-on pas admettre qu’une partie de la jeunesse de notre pays est encore et toujours sacrifiée ?

Mais retour donc à cette nuit fatale de décembre 1986 et à ce qui l’a entourée. Pour les scènes de foules, Rachid Bouchareb se sert d’images d’archives dont il ponctue le film, tout comme il l’émaille des interventions télévisées des hommes politiques qui gouvernaient la France d’alors, Jacques Chirac, Charles Pasqua pour qui les fauteurs de troubles étaient des « gauchistes et anarchistes de toutes nationalités », Robert Pandraud, et François Mitterrand allant rencontrer la famille Oussekine. Et puis, il y a ces images rappelant ce qu’étaient les « voltigeurs », ces flics lâchés à moto dans les rues pour tabasser les manifestants.

Par contraste, ce que le réalisateur met en scène, c’est ce qu’il y a de beaucoup plus intime, à commencer par l’incompréhension des familles, puis leur douleur lorsqu’elles sont contraintes de se rendre à l’évidence : Malik et Abdel sont bien morts. Il faut du temps pour en arriver là, tant les autorités, qui voudraient bien étouffer ces affaires, hésitent à dire la vérité aux proches des deux garçons tués : le frère et la sœur de Malik (Reda Kateb et Lyna Khoudri), le père et le frère d’Abdel (Samir Guesmi et Laïs Samaleh). Les scènes filmées à la morgue déchirent le cœur, d’autant plus que les deux garçons ont été comme dépossédés de leurs identités, au point qu’à un moment il y a une confusion dans l’attribution des corps. On remarquera d’ailleurs, par opposition à la froideur policière, la présence d’un employé de la morgue qui, lui, redonne à chaque défunt son prénom et sa dignité.

Pour les proches, arrive bientôt aussi l’opportunité de découvrir des aspects inconnus de l’histoire de celui qui est mort. C’est particulièrement vrai au sujet de Malik Oussekine dont on découvre qu’il lisait la Bible, qu’il avait recopié dans son journal intime l’intégralité de l’Hymne à la Charité de saint Paul (1ère épitre aux Corinthiens), qu’il avait entrepris des démarches pour être baptisé et, même, qu’il songeait à devenir prêtre. Pour son frère, joué par Reda Kateb, c’est une sidération de plus. Et c’est ce garçon qui, rentrant chez lui après avoir passé un bon moment dans un club de jazz, fut poursuivi par des « voltigeurs » jusque dans le hall d’un immeuble (alors qu’ils étaient censés ne pas descendre de moto) où il fut tabassé à mort.

À l’époque, lorsqu’on rendit hommage aux deux garçons morts, beaucoup écrivirent ces mots : « Plus jamais ça ! » Et aujourd’hui, 36 ans plus tard, où en est-on ? Est-on sûr que de tels drames ne pourront plus avoir lieu ?  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.  

Tag(s) : #Films, #Drame
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :